Chapitre 11

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Je croisai les mains sur la table, faisant cliqueter mes menottes sur le rail qui me maintenait attachée à la table.

La salle d'interrogatoire où l'on m'avait conduite, quelque part dans un poste de police de Paris, était petite et carrée, dépourvue de fenêtres. Une caméra ornait un angle de mur au-dessus de la porte à laquelle je faisais face. Pour tout mobilier, je ne pouvais compter qu'une table et deux chaises, dont une à laquelle j'étais également reliée par une chaîne à la cheville. Je m'étais retenue de signaler à l'homme qui m'avait installée, que soulever le pied de la chaise suffirait à dégager la menotte, et qu'il aurait été préférable de l'accrocher à la table scellée dans le sol... Pas d'horloge, donc, qui m'aurait permis de me repérer dans le temps. Toutefois, j'estimais être là depuis suffisamment longtemps pour qu'un simple humain eut déjà soif et une bonne envie d'aller aux toilettes. Les personnes qui m'avaient arrêtée souhaitaient-elles me faire mariner dans mon jus pour que, excédée, je crache le morceau plus vite quand elles me poseraient des questions ? Probable. Mais si c'était le cas, elles allaient pouvoir attendre encore quelques heures, parce que je n'éprouvais aucune sensation d'impatience. Immobile dans la position exacte que j'avais choisie en m'asseyant à mon arrivée, je ne bronchais pas, clignant à peine des paupières, et laissais aisément mes pensées vagabonder.

Tribal était mort. Etant donné le danger permanent dans lequel je vivais depuis ma mutation, la mort était comme une compagne de route, mais le plus souvent, c'était moi qui l'imposait à mes victimes. Là, j'avais perdu mon meilleur ami, qui plus est dans une mission qui ne présentait pas de risque majeur pour un GEN – hormis celui de se prendre le plafond sur le crâne si l'explosion fragilisait les souterrains. Mais ce n'était pas tant cela qui m'occupait l'esprit.

Il avait parlé d'un enfant. Mais quel enfant ? Un enfant humain, qu'il aurait protégé avec Amanda ? Un bébé conçu par leur union ? Non. Impossible. Les femelles GEN ne pouvaient pas tomber enceinte, cela avait été prouvé par l'Institut.

Dans les années 60, soit environ dix ans après la création des premiers GEN, les chercheurs s'étaient penchés sur la possible reproduction naturelle de l'espèce, après avoir noté que quelques demi-GEN avaient vu le jour, mais aucun sujet de race pure. On avait alors pratiqué des tests, et ils avaient révélé que, pour ce qui était des hommes GEN, tout fonctionnait à la perfection : les organes étaient là, en état de marche et les cellules reproductrices viables. Le problème venait donc des femmes. Devant la difficulté à effectuer des échographies du fait de la densité spécifique des tissus, il avait fallu aller voir directement à l'intérieur ce qui se passait. Là encore, les ovaires, l'utérus, tout y étais, y compris des ovules. Mais cette race nouvelle, si parfaite et qui débarrassait de bien des contraintes humaines, supprimait aussi un phénomène important et récurent de la vie d'une femme. Les règles. S'il y avait une chose que j'aurais dû citer en matière de conséquences positives de la transformation, c'était bien de pouvoir me trimbaler en pantalon blanc si je le voulais, et de ne plus courir après les toilettes pendant la mauvaise semaine. Sauf que cela cachait autre chose. Les règles, mais aussi la maturation d'ovules, dépendaient d'une fluctuation hormonale dont les GEN étaient dépourvus. Les stades de croissance variables dans lesquelles se trouvaient les cellules s'expliquaient probablement par le fait qu'elles étaient restées exactement comme elles étaient au moment de l'injection du sérum à leur propriétaire. On avait tenté d'administrer des hormones aux femmes GEN, mais celles-ci étant issues d'humaines, cela ne fonctionnait pas, et les tentatives pour extraire les ovules et terminer la maturation en éprouvette avaient échoué, car elles se détériorait à grande vitesse, en dépit des mesure prises pour leur conservation.

Donc Amanda ne pouvait pas attendre un enfant. Malgré tout ce que j'avais appris sur le sujet, je restais inquiète et une drôle de tension me nouait le ventre. Et, si... ? Si c'était arrivé, par je ne savais quel miracle ? En admettant le fait qu'elle ait pu tomber enceinte, cela ne présageait rien de bon pour elle, et je comprenais parfaitement pourquoi Tribal m'avait demandé de veiller sur sa compagne. Une GEN gestante pour la première fois ferait l'objet d'une surveillance constante, et je voyais déjà le docteur Malcolm la cribler de perfusions et d'électrodes, sanglée sur un lit du labo. Quant au petit, une fois né, il serait manipulé dans tous les sens, pour peu qu'on ne le dissèque carrément pas... Bon, ça, c'était peut-être un peu extrême, mais tout de même. Il faudrait le protéger.

GENESIS (3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant