Je ne sus pas combien de temps je demeurai prostrée près d'Allan, mais je crus sortir la tête d'un puits lorsque je revins à moi et pris conscience de l'immobilité totale de mes amis. Ils étaient tous comme pétrifiés, cherchant leur souffle, écrasés par la peine qui émanait de moi.
J'inspirai lentement et pris sur moi pour relâcher la pression que je faisais involontairement peser sur eux. Je ne pouvais pas perdre pieds ainsi. Allan ne m'avait pas entraînée comme cela.
Tâchant de maîtriser mes mains agitées de tics nerveux, je caressai le visage de mon ancien professeur. Il était temps de partir, mais je refusais de le laisser ainsi, le corps déchiré par ses plaies. Je me mis à retirer ma veste dans le but de lui enfiler et de masquer ses blessures, mais une main se posa sur mon épaule.
- Attends.
Gaspard s'était décollé du mur malgré son bras broyé et essayait de se dépêtrer de son propre vêtement – l'uniforme gris marqué d'un poing porté par les Revenants. Je faillis l'envoyer balader mais compris juste à temps ce qu'il suggérait que je fasse. Un sourire sans joie barra mon visage et je pris la veste en faisant attention à son bras. Allan, l'un des agents de confiance de Marx, vêtu de la tenue des rebelles, affichant clairement son allégeance même dans la mort. Voilà qui ne plairait pas au directeur. Parfait.
Avec des gestes précautionneux, je mis la veste autour des épaules de mon mentor et passai ses bras dedans avant de refermer le zip. Ainsi, on ne voyait pas ce qui avait eu raison d'Allan, on pouvait presque croire qu'il dormait. Je refoulai de nouvelles larmes et me penchai pour embrasser délicatement ses lèvres. Cette fois, c'était un adieu.
- On y va, fis-je en me levant.
Ma voix me fit l'effet de celle d'une étrangère, tranchante et rauque, mais cela n'avait aucune importance. Tandis que Geb redressait Amanda dont le visage était trempé par ses pleurs, je me dirigeai droit sur la cage d'escalier et ouvrit la porte d'un coup sec.
Les jumelles étaient là, serrées l'une contre l'autre et je les soulevai, une dans chaque bras, sans faire de commentaire. Alice ne protesta pas, fort heureusement. Nous n'avions que trop traîné. Les mâchoires contractées, je traversai le laboratoire en sens inverse sans un regard pour Samuel qui ne bougeait pas, les jointures blanchies sur le rebord d'un lavabo, ni pour les cadavres qui jonchaient le sol. Je m'assurai juste qu'Amanda suivait et m'engageai sur les dalles de la cour.
De grosses gouttes de pluies me griffèrent le visage. L'orage grondait, au loin, comme une menace voilée. J'avançai, raide comme une planche, jusqu'à Annabelle Maturet qui se tenait près d'un camion. Elle était pâle et me jeta un drôle de regard que j'ignorai.
- Elles auront besoin de soins à leur arrivée, dis-je d'un ton égal.
L'autre hocha la tête et je fis glisser les deux gamines au sol. Annie les installa dans le véhicule et j'aidai sans un mot Amanda à y prendre place à son tour. Lorsque Geb arriva à ma hauteur, il me dévisagea puis la suivit. Je faillis lui dire qu'Ismaël ne s'était pas montré et ne serait pas avec nous mais n'en fis rien. Il avait choisi, lui aussi.
- Commandante, on va démarrer, m'avertir Annabelle.
Je laissai mon regard errer sur le manoir sans rien éprouver et opinai du chef. Les moteurs ronflèrent, me décidant à grimper dans le camion militaire qui se mit immédiatement en branle. Sans la moindre résistance de la part des agents de Marx, nous quittâmes l'enceinte démolie et je regardai celle-ci disparaître par l'ouverture. Une roue se prit dans une ornière de la route et le choc m'incita à me laisser tomber sur le banc, refermant du même coup la bâche.
Quelque chose me piqua la cuisse et je sortis de ma poche une petite clef USB, l'objet que m'avait donné Allan avant de mourir. Je jouai avec un instant, me demandant ce qu'elle pouvait bien contenir puis la rangeai. Quoi que ce fut, cela devait être important. C'était tout ce qui me restait de lui.
Ignorant combien de temps allait durer le trajet, je m'installai de mon mieux et laissai mes pensées dériver.
Victoire avait tué Allan. C'était peut-être moi qui l'avait achevé pour lui épargner des souffrances et le risque d'être capturé par Marx, mais cela n'en demeurait pas moins vrai. Lorsque je l'avais vue en compagnie de ces quatre rebelles et de Geb, j'avais cru qu'elle avait changé de camp, mais je m'étais cruellement trompée. Elle était à la solde de Marx, depuis toujours.
Je secouai la tête et me pinçai l'arête du nez tout en remontant mes genoux sous mon menton. Samuel, en face de moi, m'adressa un regard suppliant que je refusais de croiser. Pour l'heure, je ne voulais pas de sa compassion ou de sa pitié. Je ne voulais rien du tout, sauf qu'on me laisse en paix, alors je tournai résolument la nuque et détaillai les autres occupants du camion.
Amanda, Geb, les jumelles, tous serrés dans un angle, mais aussi Pierre, hagard, Nacera et Stone sur un autre banc, en grande conversation et intactes malgré le bras barbouillé de sang de l'ancienne compagne de Samuel, et quelques autres GEN de ma connaissance. Tous me sourirent en remarquant l'attention que leur portais mais je ne pus les imiter, les muscles du visage pétrifiés. Je ne voulais pas non plus de leur reconnaissance.
Je fermai les yeux, en silence. Dehors, l'orage faisait rage aussi sûrement que la tempête qui régnait sous mon crâne.
J'avais quitté l'Institut. J'avais perdu Allan.
Je recommençai à trembler.
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GENESIS (3)
FantasyExtrait du journal d'Allan Vallet, 2 Juin, 23h39, Hôtel des Batignolles Notes sur Ulrich Marx : Immédiatement après avoir été transformé, Ulrich Marx démontra des qualités intellectuelles exceptionnelles qui compensèrent largement sa faiblesse phys...