11.3 : la Chute

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Lorsqu'elle se rematérialisa, elle fut prise d'un vertige et trébucha. Nicolas se retourna à demi, avant de reprendre sa position initiale.

Têtu.

Comme prévu, le pendentif l'avait menée directement à lui. Assis sur un muret à plusieurs dizaines de mètres d'altitude, les genoux repliés contre lui, sa silhouette se détachait sur le soleil couchant. Réfugié sur le toit d'un immeuble à proximité du Palais, il observait la ville – ou ce qu'il en restait.

— Il faut avouer qu'au moins, depuis que Jérôme a commencé son raffut, la vue est plus belle.

Clara s'arrêta un pas derrière lui pour, à son tour, admirer le paysage. Nicolas n'avait jamais aimé Clarme ni les grandes villes en général. Pourtant citadin de souche, il avait toujours rêvé de vivre à la campagne, loin du tumulte de la ville. Au premier plan, les bâtiments en ruine leur offraient une vision post-apocalyptique mais au loin, les vastes plaines et grands champs qui cernaient la cité apparaissaient à nouveau. Les débris de pierre, de brique et de béton ressemblaient à un tas d'immondices au milieu d'un océan de verdure.

— Nicolas... je suis désolée de n'avoir rien pu faire.

Il ne répondit pas.

— Si j'avais pu...

Il souffla, sans se retourner.

Georges avait souvent reproché à Chloé sa tête de bois, mais à côté de Nicolas, elle faisait pâle figure. À deux doigts de le laisser ruminer seul, Clara s'obligea à suivre le conseil de Tatiana. Après tout, la jeune fille les avait connus toute sa vie... Elle ne se trompait probablement pas. Clara redécouvrait à peine Nicolas, et reconnaissait que sur certains points, elle ne l'avait jamais compris.

— Laisse-moi, dit-il simplement.

Pas d'agressivité, seulement de la tristesse. Autrefois, elle l'aurait abandonné à ses sombres pensées, incapable d'affronter le mur qu'il dressait autour de lui. Cette fois, elle voulait vraiment l'aider, et non attendre qu'il se remît seul de ce coup dur. Le voir dans cet état la blessait. Tatiana avait raison ; elle ne devait pas le laisser seul.

Sans lui demander son autorisation, Clara s'adossa au muret sur lequel Nicolas était juché, juste à côté de lui.

— J'imagine ce que tu peux ressentir.

— Je ne crois pas.

— Tu penses que me retrouver privée de ma famille pendant presque vingt ans n'aide pas ?

— Tu ne te rappelais pas d'elle.

— Tu crois que c'était plus facile de me croire abandonnée ?

— Je n'ai pas dit que c'était mieux. Simplement que c'est différent.

Elle osa enfin affronter son regard, mais celui de Nicolas restait rivé sur l'horizon.

— Nicolas...

Son cœur s'emballa. Non seulement elle n'était pas douée au jeu des confidences, mais de plus savait d'expérience que le sujet de la famille pouvait le plonger dans de terribles colères. Elle s'aventurait en terrain dangereux.

Mais je ne peux pas le laisser seul, pas maintenant.

Éric avait été là pour elle à la mort de Georges. Même si elle avait d'abord refusé son aide et sa présence, le recul l'aidait à comprendre qu'elle avait apprécié sa démarche. Tant pis s'il se fâchait. Tant pis si, pour le moment, elle ne récoltait que sa colère.

Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant