4.1 : l'Inconnu

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Désireux de rattraper le temps perdu, ses parents l'avaient invitée à déjeuner en famille. Depuis leurs retrouvailles, ils organisaient ce genre de petites rencontres dès que possible, afin de faire plus ample connaissance avec leur propre fille. Habituée à son indépendance, Clara fut vite déstabilisée par les questions incessantes qu'ils lui posaient sur sa vie, son passé, ses goûts, ses passions. Mais chaque fois qu'elle lisait dans leurs yeux leur bonheur de la revoir, elle passait l'éponge. Elle avait si souvent regretté sa solitude, prié pour retrouver les siens, qu'elle ne pouvait faire la fine bouche. Et la présence systématique d'Éric l'aidait à surmonter sa gêne et à combattre sa nervosité.

Quand elle arriva au restaurant où était fixé le rendez-vous, ils lui réservèrent le rituel habituel d'embrassades. Éric, plus pragmatique, se contenta d'une sobre bise. Malgré son détachement apparent, Clara pouvait sentir son affection et son soulagement de savoir que sa sœur n'était pas morte.

— Je suis désolé, dit-il en s'installant à sa chaise. Je ne vais pas pouvoir rester longtemps aujourd'hui. Je mange un bout et je me sauve ! On a besoin de moi au journal, je dois couvrir la conférence de l'Inconnu.

— Ah, la nouvelle ?

— Oui...

— Comme si ce qu'il nous a dit le soir de son élection ne suffisait pas, grommela leur père.

Après un froncement de sourcils, Éric ôta ses lunettes et les posa à côté de son assiette.

— Ça ne va pas ? s'inquiéta Michèle.

— Comme tout le monde, répondit Éric. Ne me dis pas que tu trouves cette élection normale.

— Non, pas vraiment, admit-elle.

Leur père se contenta d'un hochement de tête.

— Ce type, reprit Éric, je ne sais pas pourquoi... je ne le sens pas ! On ne sait même pas qui c'est, qui a bien pu voter pour lui ?

Tous s'entre-regardèrent, sans la moindre réponse à proposer.

— J'ai demandé à tous les gens que j'ai croisés depuis l'élection et personne, absolument personne ne m'a répondu positivement.

— Ils ont aussi très bien pu garder leur choix de vote pour eux...

— À en croire ce que j'ai entendu ensuite, je ne crois pas. Je le trouve très impopulaire, pour un président élu avec un tel taux...

— Tu sous-entends que le vote a été truqué ? demanda Daniel, soucieux.

— J'en suis même quasiment certain, répondit Éric. Pour un vote de sanction, ce n'est pas lui qu'on aurait choisi. Mais je vais quand même la jouer discrète... je doute que mes investigations plaisent au nouveau chef de l'état.

— Éric, ne te mets pas en danger inutilement, le réprimanda leur mère. Va pour ton travail, mais fais attention. Ce genre de recherches...

— Je connais mon boulot, maman, t'en fais pas. On verra déjà tout à l'heure, à sa conférence. Je ne sais pas si je vais réussir à décocher une question... et j'aimerais vraiment voir son visage ! Ce type est un phénomène à lui tout seul ! D'une certaine façon, il a su gérer son image. Je ne pensais pas que ça marcherait, je vous l'avoue, mais ça a été efficace.

— Éric. S'il te plaît.

Lui et son père s'observèrent en silence, puis le fils se frotta à nouveau les yeux.

— Oui je sais. On ne parle pas de boulot à table ! Mais c'est pas vraiment du boulot, ça concerne...

— Éric !

Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant