22.2 : le Quotidien

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— Parce que vous êtes mort !

Cette vérité le frappa comme une gifle. Range, de son côté, avait déjà dégainé son arme. Elle ne visait pas encore sa cible, mais à coup sûr, elle tirerait au moindre geste brusque. Nicolas eut toutefois la présence d'esprit de ne pas bouger, à peine étrécit-il ses yeux.

— Qui êtes-vous ? insista-t-il.

— Lieutenant Range, brigade criminelle de Clarme. J'ai travaillé sur le dossier de Nicolas Collin et assisté à son autopsie, alors ne me mentez pas ! Déclinez votre identité.

Elle le mit en joue. Nicolas ne broncha pas. Le regard mauvais qu'il adressait à la policière n'augurait rien de bon. Clara jugea le moment venu d'agir. Elle se gorgea de pouvoir et s'attaqua de front à Range. Celle-ci sembla réaliser que quelque chose se tramait, mais n'eut pas le temps de comprendre. La magie la figea et la déconnecta de la réalité.

Corriger ses souvenirs serait difficile. D'abord, parce que le souvenir était ancien, ensuite... car c'était Range. Sitôt que Clara relâchait sa concentration, elle sentait son sort s'étioler contre son esprit quasi imperméable à la magie. Jusqu'à présent, seuls les Fossoyeurs lui avaient opposé une résistance plus farouche !

« Et pourtant, elle est bien humaine. Il existe des lignées plus hermétiques que d'autres aux pouvoirs. De toute évidence, la sienne est encore forte. »

— De tous les morts, il fallait qu'elle soit là pour ton autopsie et s'en rappelle !...

Le regard noir du Fossoyeur sauta de l'une à l'autre, incertain.

— Utiliser la magie sur elle, expliqua Clara, c'est pas de la tarte. Elle y est résistante.

— Comme moi ?

— Non... en ce qui te concerne, c'est tout bonnement impossible. Laisse-moi une minute... surveille les alentours et alerte-moi si quelqu'un approche.

Clara se concentra sur sa cible et insista. Comme si elle s'apprêtait à percer un mur en béton, elle gonfla les muscles et se glissa à l'intérieur de l'esprit de la policière. À la recherche de ses souvenirs, elle trouva rapidement celui de Nicolas et de son autopsie.

Il avait marqué l'esprit de l'agent qu'elle était à l'époque, et titillé sa curiosité. D'abord car il n'avait pas le profil des autres victimes du jour. Ensuite, parce que l'assassin qui avait sévi dans les rues voisines ne semblait pas être passé là où son corps avait été retrouvé. Contrairement aux autres, il n'avait souffert que d'une sobre entaille au niveau du cœur, fatale. Les autres corps étaient tombés dans une orgie de violence et de sang, un massacre gratuit qui resterait ancré dans l'esprit de la policière et des témoins jusqu'à la fin de leurs jours.

Sa culpabilité arracha Clara à l'esprit de Range. Revivre cette partie de sa vie à travers les yeux d'une tierce personne lui donnait une bien piètre estime d'elle-même. L'incompréhension et l'horreur qui se disputaient dans sa tête amplifiaient sous les interrogations de l'enquêtrice et ravivaient ses terribles sentiments.

« Tu dois garder ton sang-froid, déclara l'Ange. »

De fait, il occulta tout autre sentiment que son besoin d'altérer la mémoire de la policière.

« Si tu veux vivre – et Nicolas aussi – en paix, tu dois non seulement lui faire oublier cette autopsie, mais aussi rétablir son état civil. Modifier les papiers de l'époque et toutes les annonces faites dont on pourrait retrouver trace. Tu dois rester concentrée. N'oublie pas ce que tu as fait, mais n'oublie pas non plus que tu étais sous l'emprise du Démon et qu'il s'exprimait par tes mains. »

Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant