1.2 : Une Nouvelle Ere

673 103 31
                                    

Chloé chassa l'idée d'un clignement de cils et feuilleta les premières pages : changements climatiques, guerres, insécurité... autant de problèmes qui entraient peu à peu dans le quotidien. Il était aussi question de la recrudescence inquiétante des cas de tumeurs cérébrales, ou encore des prochaines élections qui donnaient l'Inconnu gagnant...

Elle s'arrêta sur cet article. Cet homme, cet Inconnu, se trouvait maintenant en tête des sondages ? Elle lut l'article en entier, sans comprendre l'engouement de la foule. Même le journaliste qui l'avait rédigé semblait perplexe quant aux résultats.

Seul son sexe avait été rendu public. Tout le reste l'apparentait à un fantôme : pas une photo de lui, pas une vidéo où il apparût à visage découvert. Son porte-parole se chargeait toujours des apparitions publiques, et même les photos de lui étaient rares. Quelques-unes circulaient, toujours les mêmes, petites ou floues. On y distinguait vaguement une barbe et un chapeau qui lui dévoraient le visage. L'aurait-elle croisé dans la rue qu'elle n'aurait pas pu le reconnaître.

Le programme, pourtant autoritaire, pouvait séduire. Face à une insécurité grandissante, l'Inconnu diminuait les inquiétudes et flattait les votants dans le sens du poil. Il promettait, entre autres, une baisse spectaculaire de la criminalité en premier lieu dans la capitale, foyer de toutes les violences du pays. Clarme était devenue une ville dangereuse et réputée telle. Chloé ne pouvait le contredire : sans ses pouvoirs, jamais elle ne s'y serait aventurée seule, de nuit.

Elle poussa un nouveau soupir de lassitude.

Le rythme frénétique de la batterie résonnait dans sa tête. Une main derrière la nuque, elle bascula sur son siège et perdit son regard vers le plafond. Son acuité visuelle décuplée par l'action de ses pouvoirs, elle y distinguait les nombreuses fissures, la peinture écaillée. Souvent, elle retrouvait sur le vieux bureau en bois massif de petites plaques blanchâtres, arrachées au plafond dès que Boris rentrait chez lui, à l'étage supérieur. L'immeuble entier appartenait à Georges, et il lui louait l'appartement du premier. Chloé l'avait découvert en héritant du bar : Georges ne lui avait pas seulement légué un bail, il lui avait laissé entre les mains un bâtiment entier à faire vivre et rentabiliser.

— Quel fou, murmura-t-elle.

Plusieurs mois plus tard, elle se demandait encore comment il avait pu estimer qu'elle en serait plus digne qu'un membre de sa famille.

D'un moulinet du doigt, elle répara les dégâts visibles. La vieille et grande bâtisse où logeait le P'tit Clarme souffrait d'un manque de maintenance évident. Parfois, à en juger par l'état de certaines parois, elle se demandait même si un quelconque sorcier n'y avait pas mis du sien dans la consolidation des murs. De récents tremblements de terre, peu violents mais nombreux, avaient pourtant mis sa résistance à l'épreuve et accentué son délabrement. Sans oublier l'effondrement d'anciens tunnels aux alentours de la vieille ville, soit en plein dans le quartier de l'Usine. Au mieux, ils occasionnaient quelques fissures ; au pire, ils engloutissaient une maison entière. Chloé avait donc très vite agi pour s'en prémunir et usé de ses pouvoirs pour s'assurer de la pérennité des lieux.

Des coups de klaxons à l'extérieur la tirèrent de ses songes. Elle secoua la tête et cligna plusieurs fois.

— Arrête de rêvasser, se morigéna-t-elle.

Elle ouvrit le tiroir supérieur du bureau pour y ranger la facture, et y retrouva un bloc-notes sur lequel figurait une liste de noms. Chacun possédait son numéro de téléphone, griffonné à côté. Quinze au total. La semaine précédente, Chloé s'était rappelé sa véritable identité. À la suite d'un rêve aux allures de cauchemar, elle s'était réveillée, un nom sur les lèvres : Dubreuil.

Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant