20.3 : Gilles

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Cette nuit-là, beaucoup de blessés trouvèrent le chemin de la guérison. Clara ne lésina pas sur la magie pour leur permettre de s'en tirer sans séquelles. Afin de ne pas éveiller un intérêt qui lui nuirait par la suite, elle demeura dans les ténèbres nocturnes pour agir et ne soigna jamais totalement. Sur un plan purement physique, son but était d'éviter hémorragies, amputations, trop longs comas ou lésions irréversibles et permettre à tous les survivants de retrouver, à plus ou moins long terme, la vie qu'ils menaient auparavant.

Sur le plan psychologique, elle n'était pas encore assez forte pour agir plus que l'Ange et sa capacité à distiller autour de lui une aura de sérénité. Afin de ne pas limiter cette sensation à son entourage proche, elle créa un sortilège plus ambitieux, qui s'étendit sur la ville pour apaiser autant que possible tous ceux qui s'y trouvaient. Avant sa reconstruction, Clarme aurait besoin de toutes les capacités de ses habitants, non de résidents dévastés. Il y en aurait, car un tel évènement avait trop tué et frappé les esprits par sa violence. Mais si elle pouvait leur apporter un peu d'aide, elle le ferait, et ce pendant encore quelques semaines, le temps de voir s'atténuer le choc.

À son retour, elle trouva Nicolas devant la porte du bar.

— Je te cherchais, dit-il.

— L'inverse est aussi vrai. Où étais-tu passé ?

Des éclats de voix, au loin, rompirent le silence qui succéda à sa question. Grâce à l'Ange, elle parvenait à distinguer son visage malgré le manque de lumière, mais son expression ne révélait rien de son état d'esprit.

— Ici et là, finit-il par dire. J'ai essayé de donner un coup de main quand je pouvais. C'est quand même... terrible ce qui est arrivé.

Il secoua la tête.

— Dire que j'y ai contribué...

— Je ne sais pas si tu as vraiment eu le temps de faire quoi que ce soit.

En toute honnêteté, Clara l'avait rencontré le lendemain du jour où le président était nommé. Contrairement à ses semblables, il n'avait pas participé aux fusillades et aux démolitions.

Mais quand est-il revenu à la vie ? Qu'a-t-il fait avant que je le croise ?

Elle chassa ces questions. Elle-même n'était pas irréprochable et quand bien même il aurait mal agi, l'oppression mentale de Jérôme l'y obligeait.

— Et toi ? Tu vas bien ? Tu as l'air... plus détendue.

Elle se permit un sourire à cette remarque. L'espace d'une seconde, elle avait oublié que lui aussi pouvait clairement distinguer ses traits.

— Maintenant que la ville va se remettre, oui. Je vais mieux. Et toi aussi visiblement.

Il acquiesça.

— Qu'as-tu fait de lui ?

— Moi ? Rien. Mais il devrait nous laisser tranquille pour un moment.

— Je ne... je ne ressens plus sa présence.

— Tu pouvais la ressentir ?

— C'est difficile à décrire... Je ne savais pas ce que c'était. C'était comme une pression, comme l'impression d'être constamment surveillé. Je me sens... mieux. Plus léger. Débarrassé de ça.

Ils restèrent un instant à profiter du calme ambiant, puis Clara posa la main sur la poignée.

— Tu rentres ?

— Je n'ai rien à faire là.

— Tu pourrais te reposer...

— Je n'en ai pas besoin.

Clara aurait aimé discuter avec lui, mais à bien y réfléchir, le moment était mal choisi. Mieux valait attendre de se retrouver en tête à tête avec lui pour cela. À regrets, elle inclina la tête.

— Tu vas retourner en ville ?

— Oui. C'est la nuit que sortent les maraudeurs. Je pourrai peut-être en dissuader quelques-uns de faire n'importe quoi.

— Tu joues les policiers ?

— Pas vraiment... Je ne m'occupe pas ceux qui volent un peu de nourriture. Juste de ceux qui cherchent à profiter du chaos.

Nicolas possédait vraiment un caractère à part. Depuis toujours, il ne supportait pas les injustices et ne comprenait pas comment on pouvait nuire aux autres de manière volontaire. Déjà à l'époque où il arpentait la Maison, Clara ne comprenait pas. Comment un être aussi pur, dans ses intentions, avait-il pu échouer là ? Malgré sa mort, le sort avait encore frappé en le transformant en une machine à tuer dépourvue de vie propre.

Plus que jamais, elle ne comprenait pas pourquoi sa mère éprouvait une telle animosité à son égard.

Elle ne le connaît pas, c'est tout. Mais... Ce garçon est vraiment un mystère à lui tout seul.

Poussée par la fatigue, elle ouvrit la porte.

— Je te laisse, alors. Tiens-moi informée quand même.     

Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant