Chapitre 22

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" Le vrai tombeau des morts, c'est le cœur des vivants. Jean Cocteau "

Le jour de l'enterrement est enfin arrivé. Toute ma famille est présente pour lui dire adieu, enfin sauf un des frères de mon père qui a une réunion apparemment plus importante que son frangin. Même pas fichu de venir lui dire au revoir avant qu'il meure ni même après sa mort. De ce fait, certains de mes cousins ne sont pas venus eux non plus. J'adore l'esprit de cette famille.

Je ne fais que pleurer et voir mon frère en larmes, ce qui est très rare, me rend encore plus triste que je ne le suis déjà. Entre deux sanglots, je vois que Kate et ses parents, sont présents ainsi que les amis de Cameron comme Ethan. La plupart des invités pleurent, quelques rares personnes n'expriment aucune émotion, à croire qu'ils sont habitués à cela.

J'ai énormément de mal à croire que tout cela est vrai. La vision de son cercueil au milieu de l'allée du cimetière, celle des gens tout autour qui ne savent pas où regarder, me donnent la nausée et l'envie de partir loin d'ici. 

Mon grand-père est agenouillé près du cercueil, dévasté de voir celui qu'il voyait comme son fils enfermé dans cette boîte en acajou. 

— J'aurais du être à ta place ! Ce n'était pas à toi de partir !

Dévastée par les paroles que tient mon grand-père maternelle, je m'effondre en pleurs.  Je n'aurais jamais imaginé que leur amitié était si forte et fusionnelle. Je n'aurais jamais pensé qu'il veuille prendre sa place dans ce cercueil, prêt à sacrifier sa vie pour sauver la sienne si cela aurait pu être possible. 

Durant toute la cérémonie, je suis restée bloqué sur ses paroles. Il me fait énormément mal au cœur. J'ai comme l'impression qu'il a perdu un fils. Au contraire du vrai père de mon papa qui reste éloigné loin de notre famille comme s'il était en trop dans cette cérémonie. 

Nous nous sommes tous retrouvés chez nous à la fin de l'enterrement pour la traditionnelle réception. Encore une belle connerie ce truc, qui veut sérieusement se réunir pour manger de la bonne nourriture et faire comme si on oubliait la personne ? En tout cas pas moi, je déteste au plus haut point celui qui a inventé cette tradition.

Je reste assise dans le canapé face à la grande baie vitrée donnant sur le jardin écoutant partiellement les balivernes des gens présents. Mon père était un homme bon, brave, courageux, timide. Mais pourquoi dire ça maintenant, tout le monde le sait qu'il était comme ça, à quoi bon le redire maintenant. J'ai juste envie de leur dire à tous de la fermer. Mais je ne peux pas ouvrir la bouche, je ne veux pas prononcer le moindre mot. J'espère qu'ils fassent comme si je ne suis pas présente, comme si je n'existe plus.

Mon frère reste avec moi sur le canapé ainsi que mon cousin Steven. Ils essayent tous les deux de me parler, d'engager une conversation sans parler de mon père. Mais rien n'y fait, je reste dans ma bulle. Au final, les deux ont fini par parler ensemble de jeux vidéo. J'ai envie de leur dire que ce n'est ni le moment ni l'endroit pour parler de ça, mais je sais que cela les soulage tous les deux de parler d'un truc qui n'a pas de rapport avec mon père.

Cette mascarade a duré un certain temps avant que les gens rentrent chez eux avec un sourire plaqué sur leur visage comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes. Je voudrais leur rappeler que mon père est six pieds sous terre en ce moment et qu'il aurait été furieux qu'on l'oublie si vite. Aussitôt enterré aussitôt oublié !

Le soir même, je n'arrive pas à m'endormir dans mon lit alors que mon père était encore présent cette après-midi dans le salon. Je ne fais que pleurer en me remémorant les derniers moments que j'ai passés avec lui hier. Je lui ai donné ma lettre cet après-midi, enfin donné est un grand mot, car je l'ai simplement déposée sur son torse à côté des fleurs de mon frère et d'une photo de ma mère et lui.

Je m'étais assise auprès de lui et j'avais lu d'une voix tremblante ma lettre. Sa main froide était dans la mienne durant mon discours. J'espérais que même s'il n'était pas présent, il entendait ce que j'avais à lui dire. J'avais dû rester avec lui une bonne heure avant que des messieurs en costard ne me disent qu'il était temps de lui dire au revoir une dernière fois.

Au bout d'une heure à essayer de m'endormir, je me dirige dans la chambre de ma mère qui se trouve juste à côté de la mienne.

— Maman, je veux rentrer à l'université. Je ne veux plus rester ici, dis-je avec une toute petite voix.

— D'accord, ma chérie. Préviens ton frère. On s'en va de suite.

Mon sac est déjà prêt depuis que je suis rentrée du petit séjour chez ma tante. Mon frère est tout aussi paré que moi pour rentrer sur le campus. On ne veut pas passer une seconde de plus dans une maison qui nous fait penser à notre père décédé dans le salon. Je n'arrive plus à voir mon père vivant, je ne le vois que mort.

Le retour est aussi pesant que l'aller. Je n'ai qu'une hâte s'est de me retrouver dans mon lit, dans ma chambre, loin de tous les problèmes. Loin de ma famille, si j'en ai encore une.

En arrivant devant mon appartement, ma mère n'a pas le temps d'arrêter le moteur que je file comme une flèche sans prendre le temps de leur dire au revoir. Je n'ai plus envie de les voir, ils me font trop penser à mon père. Tout me rappelle mon papa partout où je vais.

Cameron ne m'a pas suivie. Il a sans doute compris que je veux me retrouver seule, que j'ai besoin de lui pardonner de m'avoir caché la maladie de mon père. Ma mère m'a laissée partir comme une voleuse comprenant sans doute mon mal-être.

En rentrant dans l'appartement, Kaitlyn m'attend sur le canapé. Elle a les yeux rouges comme à l'enterrement.

— May, je suis tellement désolé pour ton père.

— Tout le monde est désolé, mais qu'est-ce que vous avez fait pour être désolé ? Il me semble que quand on dit ce mot, c'est qu'on a fait quelque chose, non ? Tu as tué mon père ? Non, alors tu n'as pas à être désolé de quoi que ce soit sauf peut-être d'avoir menti à ta meilleure amie, de ne pas lui avoir dit que son père était malade. Mais tu ne l'es pas pour ça par contre !

— Si, je suis désolée aussi pour ça May, je te le jure. Je voulais te le dire, mais ce n'était pas à moi de le faire. May comprends-moi s'il te plaît.

— Te comprendre ? Tu te fous de moi là, j'espère ! Et toi, tu comprends que tu m'as caché que mon père allait mourir. Mon père ! Alors, non je n'ai pas envie de te comprendre Kaitlyn. Pour moi, tu n'es plus rien. Une amie m'aurait dit que mon père n'allait pas bien si elle le savait. Toi, tu n'as rien fait. Rien à part me mentir, lui crié-je dessus.

Je sais que mon attitude n'est pas celle que j'ai d'habitude. Je suis plus du genre à prendre sur moi et à ne rien dire, mais aujourd'hui, je n'ai pas envie d'être moi. J'avais envie de crier sur tout le monde lors du repas chez nous. Et là, je craque.

Je mentirais si je disais que je ne m'en voulais pas d'avoir fait pleurer Kate, d'avoir dit que je la déteste et qu'elle n'était rien pour moi. Kate reste une amie, une très bonne amie, mais pour le moment, elle est celle sur qui je me suis défoulée. Je ne ressens pas le besoin de m'excuser, mais je sais que je m'en voudrais plus tard.

Je la laisse sur le palier à pleurer toutes les larmes de son corps en me suppliant de lui pardonner et je pars m'enfermer dans ma chambre. Il n'y a pas qu'elle qui se sent mal aujourd'hui. Moi aussi, j'ai perdu quelqu'un, j'ai perdu mon père et je ne vais pas supplier la vie de me le redonner.

Cela fait bien une heure que je suis rentrée. Il a beau être très tard, je n'arrive pas à trouver le sommeil. Je suis assise en tailleur sur mon lit tout en regardant par la fenêtre les étoiles qui brillent au-dessus de ma tête. Ce soir, dans le ciel, il y a une de plus qui scintille.

Soudain, j'entends la vibration de mon téléphone. Je le saisis et je regarde les deux messages que je viens de recevoir. Ils proviennent tous les deux de la même personne, Ethan.

Ethan : Je sais que tu n'as certainement pas envie de parler, mais sache que je suis là si jamais tu ressens le besoin de discuter.

Ethan : "L'esprit oublie toutes les souffrances quand le chagrin a des compagnons et que l'amitié console."

L'envol du papillon [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant