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     Une fois ma sœur partie et le trio reformé, mes parents ont presque oublié mon existence. Ils n'ont guère souffert de l'absence de leur fille et passaient du bon temps chaque jour. Je n'étais pas encore tout à fait majeur et mon père en profitait pour faire de moi un esclave dans les tâches quotidiennes. Comme ils avaient totalement investi le studio aménagé en spa à côté du garage, moi, je continuais, seul, les tâches ménagères et l'entretien de la maison. Je devais m'occuper aussi des courses, que je commandais sur internet et qu'un livreur m'apportait. Je faisais la lessive, le repassage, les repas, la vaisselle, le ménage, etc. Mais si c'était ça le prix pour que je puisse voir Iliana dès que je le souhaitais, je voulais bien me transformer en homme à tout faire.

     Ce qui avait changé depuis que Marie était partie en internat, c'est que mes parents recommençaient à fréquenter des couples qui avaient cotisé à l'association. Je ne sais pas si c'était dans l'idée de leur soutirer encore de l'argent, ou simplement pour occuper leurs soirées d'hiver, mais les gens défilaient dans la maison, me donnant de plus en plus de travail pour réaliser les repas et tout nettoyer quand ils partaient. Évidemment, quand nous étions tous à table, je faisais l'autiste et montais tôt dans ma chambre. Un soir, après un interminable repas, une fois les invités partis, je suis redescendu pour tout ranger. Mon père m'a confié que leurs amis avaient fait une ou deux réflexions en insinuant que je n'étais pas trop gênant comme autiste, ou quelque chose de ce genre, car je m'absentais très vite de table. Mon père avait pris cette réflexion pour un reproche et m'avait ordonné de trouver quelque chose pour impressionner les futurs invités, afin qu'ils continuent de plaindre mes parents plutôt que de leur dire que j'étais facile à vivre. Bien sûr, il a ajouté que ça permettrait d'obtenir leur pitié, et peut-être d'autres dons pour l'association.

     Il a donc entrepris de me trouver d'autres mimiques inquiétantes, c'est alors que lui est venue une superbe idée qui me compliqua la vie en société. Mon père m'avait conseillé de compter mes aliments dans mon assiette, et que l'on se fixe un nombre qu'il fallait toujours respecter. J'ai donc dû m'amuser, à chaque repas avec des invités, à compter mes petits pois, pour qu'il y en ait cent, mes pâtes, mes grains de riz ou tout autre aliment. Un vrai casse-tête, surtout le jour où mon père a eu l'envie de manger un couscous, et qu'il m'a fallu compter chaque grain de semoule. J'avais tellement de fois perdu le fil dans mes calculs que je n'avais pas encore commencé de manger alors que tout le monde en était au dessert. Certes, ce petit jeu avait beaucoup intrigué les invités, qui s'étaient sentis obligés de féliciter sans relâche mes parents qui faisaient preuve de beaucoup de patience, etc., etc.

     A chaque fois que j'avais envie de leur faire bouffer mon assiette en pleine tête, je repensais à Marie, qui était loin à cause de moi, et à Iliana, que je n'aurais pu supporter de ne plus revoir. C'est pour elle que j'ai tenu encore quelques années... 

Je suis un actisteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant