Chapitre 8 : d'un "faire-semblant" et d'une bouteille

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Je savais que jouer à ce jeu n'était pas la meilleure chose à faire. J'en avais bien conscience. Mais je ne pouvais m'en empêcher. Je voulais la vérité. Il fallait que je le provoque, que je le pousse à me dire les choses. Je suis prêt à tout pour lui.
C'était l'après-midi, après avoir mangé et après que les cours recommencèrent, nous nous dirigions pour deux heures de français. Le premier cour que je passais avec Abraham. Oui, les cours du jeudi matin, on était en groupe. Et bien sûr, je n'étais pas dans le sien.
Abraham me regardait bizarrement. Il suspectait quelque chose.
On se plaça tout au fond de la salle. On espérait tranquillité, pour parler sans être interrompu. Je sais, c'est pas bien.
Après quelques minutes de cour, Abraham rompit le silence. Je n'étais pas très bavard au final, j'étais dans l'embarras. Je ne détestais plus Sean, je culpabilisais. On ne s'était pas adressé un seul mot.
— Alors ? Qu'est-ce qu'il se passe avec Sean ?
— De quoi ?
— Je connais Sean, je vois quand il est énervé. Et puis toi, tu l'évites. Enfin, vous vous évitez.
— Sûrement.
— Évidemment plutôt ?
— Oui.
— Tu sais, ça se voit.
— J'en ai conscience.
— Pourquoi vous êtes en froid comme ça ?
— Parce que j'ai voulu, à mes risques et périls, savoir ce qui le rendait en colère.
— T'as fait quoi ?! Haha, Bat'... Si tu veux vraiment savoir ce qu'il a, c'est peine perdu. Il le fera quand il le voudra Lui.
— Ha oui ? Comment tu sais ?
— Bat', je le connais depuis qu'on a cinq ans.
— Ha oui ? Je ne savais pas.
— Maintenant tu sais ! On se connais avec Joshua et Chris depuis la maternelle. Depuis, j'ai appris à le connaitre maintenant ! Et je ne l'ai jamais vu se confier à moi quand c'est moi qui venais vers lui.
C'est vrai qu'ils étaient proches tous les quatre.
— Ha oui Joshua...
— Oui...
— ...
— Tu sais Bapt', Joshua n'est pas méchant. Il est juste jaloux de toi, mais au fond il t'aime bien. Il ne te connait pas depuis très longtemps et c'est normal pour lui qu'il ne te fasse pas trop confiance.
— Oui je sais ne t'inquiète pas.
— Et puis tu sais, c'est assez difficile pour lui.
— Ha bon pourquoi ?
— Parce que tu débarques un peu de nulle part et tu lui « voles » Abby. C'est assez compliqué à digérer.
— Oui c'est vrai que je débarque dans vos vie à tous...
— Moi, ça ne me dérange pas du tout, je suis même très content ! Mais pour Joshua, c'est pas simple.
— Je comprends sa réaction. C'est pour ça que je ne le déteste pas.
— Il ne te déteste pas non plus tu sais.

La conversation s'acheva là. Je me rendis compte de quelque chose. Ce qu'il m'avait dit... Ça valait aussi pour Sean. Je m'imposais dans sa vie et j'en espérais trop de lui... Ça ne faisait que trois mois... Mais bon, comment il m'avait traité me laissé toujours rancunier... J'allais continuer mon affaire avec Abbi.

Putain mais qu'est-ce que je suis en train de devenir...

*********

Je rentrai dans mon foyer. Je me posais sur mon fauteuil et jouai enfin de mon piano. J'aimais ce moment de la journée. Ce moment où tout s'arrêtait. Ce moment ou plus rien ne comptait. J'étais enfin libre. Je m'évadais, je m'emportais, je n'étais plus ici. Les mélodies me faisaient chavirer. Elles m'emportaient loin de tout, loin de tous. Je fermais les yeux, je sentais vibrer ce son à travers mes doigts, remplissant mes poumons.
Je passai deux bonnes heures à jouer sans me rendre compte qu'il était déjà 23 heures. J'aurais pu jouer jusqu'à en perdre mes doigts. Je m'allongeai enfin dans mon lit. J'étais trop fatigué pour penser à quoi que ce soit.

*********

3 mois plus tard

Ça faisait maintenant trois mois que je n'avais pas parlé à Sean, trois mois que je faisais semblant avec Abby, trois mois que je ne savais pas ce que je faisais. Sean n'avait pas daigné à s'excuser ou même à m'adresser une seule parole amicale. J'allais craquer, j'étais à bout. Abbi avait essayé d'aller plus loin, mais je répétais sans cesse un vulgaire « patience ». Mais elle s'obstinait, elle s'accrochait à moi comme une proie, elle avait tout simplement espoir...
On approchait de Noël, le moment que je détestais. Cette fête me rappelait que c'était un moment à passer en famille. Mais avec quelle famille ? C'était les vacances les plus déprimantes. Mon père n'avait pas voulu rentrer en France pour ces vacances, allez comprendre pourquoi.
Comme à mon habitude, je jouais de mon piano. Ça faisait quelques jours que personnes n'avait eu de mes nouvelles. Depuis le début des vacances, je ne répondais plus aux messages, ni aux appels et surement pas aux invitations. Parce que j'attendais le message que d'une seule personne. Lui.
Mais j'avais joué avec le feu. Un feu qui n'avait aucunement fait fondre sa froideur. Je l'avais transformé en un iceberg, celui qui fait chavirer chaque bateau se trouvant sur son passage. J'étais responsable de son silence, de sa distance. Qu'espérais-je ? Qu'il fasse le premier pas ? Il n'allait rien faire.
J'étais, sans le vouloir, devenu son ennemi. Comment j'en étais arrivé là ? L'amour sûrement. Je voulais le faire exploser jusqu'à qu'il me dise ce qui n'allait pas. Si je continuais comme ça, j'allais le perdre pour toujours.
Le téléphone m'interrompit. J'espérais que ce soit Lui.
« Abraham »... Je décidai d'enfin décrocher. Je ne voulais pas qu'il s'inquiète.
— Allo ?
J'entendis l'étonnement de mon ami. Il ne s'attendait pas du tout que je réponde.
— A-Allo ?
— Oui ?
— Baptiste ? Ça va ?
— Oui et toi ?
— Oui. Je suis étonné, je pensais pas que tu allais décrocher.
— Désolé pour ce silence, j'étais occupé.
— Ha oui pas de soucis, c'est pas grave.
— Alors ? Qu'est-ce que tu voulais ?
— Heu... Ce soir on organise une fête. Tu veux venir ?
Je n'avais pas envie.
— Heu je t'avoue que...
— Aller ! Il y aura tout le monde ! M'interrompt-il.
Sean allait y être aussi... C'était peut-être le bon moment pour avoir une conversation...
— Ouais...
— T'es sérieux ?! C'est trop cool !! Alors ce soir à 20 heures chez moi.
— Ok. À ce soir.

Je raccrochais. Je regrettais immédiatement ce choix. Mais bon, il fallait bien que je reste le plus sociable possible. Rester enfermé avec mon piano et mon crayon presque usagé n'allait pas me faire forcément du bien.
Je m'habillai pour ce soir. Il allait sûrement faire froid. Mais on allait rester dedans, donc je n'avais pas forcément besoin de vêtement chaud. J'enfilais juste un T-shirt blanc et un pantalon noir troué. Par-dessus mon T-shirt, je mis ma doudoune Canada Goose et partis. Il faisait froid, très froid même. Mais c'était supportable. Il n'y avait pas de neige, et ça faisait un moment que j'en avais pas vus d'ailleurs...
J'arrivais chez Abraham. C'était depuis peu devenu un très bon ami. On passait la plupart de nos mercredis après-midi ensemble. C'était agréable d'être avec lui. Il ne savait pas grand-chose de moi, comparait à moi qui savais presque tout de lui. C'était une feuille transparente à ce niveau. Il avait perdu un cousin avec qui il était très proche, au même âge que moi j'avais perdu mon frère. Mais ça, il n'en savait rien.
Il m'accueillit, comme tout les autres. Seul Sean ne s'était pas levé. J'avais l'habitude maintenant, même si je ne supportais pas pour autant.

Aucun alcool avait gâché la soirée. C'était une soirée sans, et c'était tout aussi bien. Je ne tenais pas l'alcool, ça me rendait con. Abby toujours dans mes bras, elle s'impatientait. Elle avait prévu quelque chose avec moi, mais elle n'en avait pas dit beaucoup. À quelque moment, je croisais le regard de Sean, mais rien à faire, il s'en détournait immédiatement...
À 24 heures, on jouait à des jeux. Comme par hasard, le pure « Action ou Vérité ». J'étais vraiment pas motivé. Si j'en venais à embrasser Abby ? Rien qu'à l'idée de croiser ses lèvres avec les miennes me donnait la nausée... Mais je ne pouvais décliner. Sean n'avait pas l'air plus enthousiaste que moi...
Les tours s'enchaînèrent, chaque étape devenait de plus en plus chaudes. Jusqu'au moment du « rouler une pelle à ... ». Je priais pour que ça ne tombe pas sur moi. Mais bien sûr, c'était évidemment moi.
Pour savoir qui j'allais embrasser, nous fîmes retourner la bouteille. La bouteille tournait, elle ne s'arrêtait pas. J'en suais. Pourvus que ça ne tombe pas sur Abby. Je préférais limite embrasser Joshua ou Abraham, qu'elle. Ma concentration était au maximum. Comme si, en fixant la bouteille tourner, elle allait m'écouter.
Elle s'arrêta et montra une personne du bout de son bouchon. Mon cœur s'arrêta. Je ne respirais plus. Je n'avais vraiment pas prévu ça...
« Sean »...

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