Orson

J'ai dis non

Orson avait quitté les lieux à onze heures, la faim commençait à le ronger sur le retour. Il n'avait plus intérêt à traîner, d'autant plus que le réservoir diminuait encore. Il se hâta de remonter les files, un homme restait un homme après tout. Au trois-quart du réservoir, il avait pu couper le moteur. Il était enfin chez lui, prêt à se mettre à la cuisine: un fish and chips maison, du poisson, des frites et un demi-citron, parfait! Il adorait cuisiner, du moins des repas simples, tout ce qui était dans la haute gastronomie ne l'enchantait pas. En plein milieu du repas, son portable l'alerta de l'arrivée d'un nouveau message: Laura le prévenait qu'elle venait à l'appartement de son père. Orson sut qu'il allait pouvoir lui raconter toute l'histoire, même si au fond, sans se voiler la face, elle n'allait pas réagir de la bonne façon. Après c'était normal, personne n'avait envie d'apprendre que son père était un escroc. Mais il pensait sincèrement qu'il s'était passé quelque chose pour que son père en soit arrivé à accepter une telle somme. La vaisselle, ce n'était décidément pas son talent caché, l'assiette lui avait encore glissé des mains, manquant de se fêler. Pas mieux avec le couteau, son doigt commençait à picoter et la mousse rouge n'était pas bon signe. Il se dépêcha de finir la corvée et de désinfecter son index. Et puis il se décida à nettoyer les restes d'insectes de son casque assis sur les escaliers, dehors.

Vers quatorze heures, il vit Laura devant la porte de l'autre maison, elle regardait avec insistance la moto. Quand son propriétaire s'approcha du véhicule, Laura lâcha un sourire scintillant. Elle n'était pas forcément en admiration devant le propriétaire, mais les lignes et le modèle de la moto lui plaisait énormément. Elle ne l'avait jamais vue sortie, Orson prenait soin de la ranger dans le garage pour lui éviter la pluie et les autres désagréments. Elle n'en avait jamais fait, elle n'a jamais été invitée à en faire non plus. Orson, lui, était choqué par ce changement d'attitude, c'était une perche tendue:

" - Elle vous plait?

- J'en ai rarement vu des comme ça!

- C'est une grosse cylindrée sportive, c'est mon seul luxe.

- Eh bien, vous avez bien choisi.

- Merci! Tu veux monter?

- Oui, tu m'emmènes où?

- Non, tu peux monter dessus... A l'arrêt, avec la béquille..."

Laura était déçue, elle n'avait même pas remarquer le tutoiement quand à Orson il riait intérieurement, il n'allait quand même pas la laisser monter derrière lui comme ça, ça aurait été trop beau. La femme eut quand même le courage de grimper sur le deux-roues, dessus, elle semblait toute petite, fine mais sacrément déterminée. Cet aspect déterminé ne déplut pas à Orson qui avait enfin pris une décision. Mais c'était sans compter sur Laura, qui ayant déjà oublié le premier avertissement, insista:

" - Alleeez, Orson emmenez-moi à moto!

- Non. fit-il impassible.

- S'il vous plait?

- Tu recommences à me vouvoyer?"

Laura était choquée, à quel moment avaient-ils commencé à se tutoyer, soudain la lumière s'était faite dans son esprit et elle sentit ses joues brûler. Non seulement, elle passait pour une adolescente, mais elle faisait un caprice et ne savait plus ce qu'elle disait. Elle devait passer pour une enfant et à vingt-sept printemps, ce n'était pas glorieux. Pour reprendre les choses en main, Orson lui annonça que désormais il serait plus simple de se tutoyer et elle accepta. Mais toujours dans son rêve d'enfant Laura se demandait bien pourquoi il ne voulait pas. Elle lui posa la question franchement. La seule réaction d'Orson fut de l'observer, la toiser de haut en bas. Laura commençait à s'irriter, elle n'avait pas eu de réponses et lui faisait mine de réfléchir. Le discret sourire, qu'il essayait de masquer avec sa main poussa Laura à croire qu'il se moquait bien d'elle. Et au moment même où elle commençait vraiment à fulminer, après cinq bonnes minutes de blanc, il prit la parole:

" - Tu as un équipement de protection pour monter à moto?

- Non...

- Je n'en ai qu'un, le mien et il est adapté.

- Je peux me procurer un casque.

- J'ai dis non. Ce n'est pas un casque qu'il te faudra si tu chutes, c'est la tenue entière: casque, gants, jeans épais, blouson et bottes. Tu comprends maintenant? Si tu n'as pas d'équipements, tu ne montes pas. Je refuse qu'il arrive quelque chose à quelqu'un Miss.

- Ce sera pour une autre fois... Pas de balade à moto avec le grand méchant garçon.

- Demain, je t'emmènerais dans un magasin si tu veux vraiment monter derrière moi."

Laura recommença à sourire, non plus à la moto cette fois mais bien au propriétaire de la monture noire.