LE SLEEPWALKER

Partie 10

                          Tout bien réfléchi, j'aurais mieux fait de ne pas lever la tête si j'avais su jusqu'où tout ça me mènerait...

-"Elle est jolie, ta poupée, me dit poliment le petit garçon installé sur le dirigeable, ou plus précisément assis en tailleur tête en bas sur la toile goudronnée du ballon du dirigeable.

                     À croire que la gravité n'avait aucun effet sur lui, même les démons ne sont pas capables de défier les lois de la physique.

-Tu t'appelles comment ? Moi c'est Méphisto, mais tu peux m'appeler Meph' si tu veux, reprit le garçonnet.

-Zéro, je m'appelle Zéro."

                  Mephisto (drôle de nom)  descendit sur la pointe des pieds le long d'un câble qui rattache le ballon à la nacelle. J'eus tout le loisir d'observer plus en détail  son étrange accoutrement, un gilet sans manches décoré des carreaux rouges et noirs par-dessus une chemise aux manches bouffantes et une sorte de pantalon se rapprochant dangereusement des hauts-de-chausses noirs (pas trouvé de média pour la tenue de Mephisto, laissez libre cours à votre imagination). Un enfant n'est pas censé porter des habits excentriques du dix-neuvième siècle, non ?

                           Le garçonnet est fasciné par mon écharpe au creux de laquelle est pelotonnée Mademoiselle Perle. Tiens, il a les yeux vairons. L'un est très sombre, presque noir et l'autre est grenat, comme une framboise. Il me regarde avec un air sérieux, une expression d'adulte contrastant avec les joues rondes et ses grands yeux.

-"D'où tu viens ? Tu sais que t'as des cheveux bizarres ? Pourquoi tu te caches un œil avec tes cheveux ?

                Je ne peux m'empêcher de sourire, ce garçon est attendrissant avec sa petite bouille contrariée.

-Je viens de nulle part, dis-je tranquillement, et toi, tu sais que tu as des habits de clown ?

-Ben oui, je sais, je suis pas aveugle quand même, répliqua Méphisto avec un sérieux et un petit air hautain irrésistible. De nulle part c'est pas une réponse, poursuivis-t-il, tu viens bien de quelque part, c'est obligé, sinon tu serais pas là.

-Je suis peut-être là ou pas, tu ne peux rien prouver, Monsieur Je-sais-tout."

                   Je le laissait réfléchir à ma phrase un moment, visiblement je lui avais cloué le bec. Ce dont je suis sûr à propos de cet enfant, c'est qu'il n'est certainement pas humain. Mais qu'est-il, dans ce cas ? J'ai vu bon nombre de créatures étranges au cours de ma mort, des cyborgs, des démons, des automates, des hybrides mi- humain mi- animaux façonnés  de toutes pièces par l'homme, des animaux qui parlent et des arbres qui murmurent avant que la nature ne disparaisse.

                    Finalement, j'ai passé le reste du voyage à discuter avec lui installé sur la nacelle du dirigeable, les jambes pendant dans le vide et Mademoiselle Perle à dormir. J'étais bien, tout simplement.

                    Quand nous nous sommes posés, j'ai voulu lui dire au revoir, mais le garçonnet a attrapé ma manche pour me retenir.

-"Euh... En fait, je suis tout seul, j'ai que ma sœur que je dois retrouver à la capitale et... Et... Je peux rester avec toi ?

              Pauvre gamin. Combien d'orphelins comme toi errent livrés à eux-mêmes à tâtons dans le noir ?

-Tu n'as pas peur que je vienne de nulle part ?

-Non, tu es gentil et ta poupée est jolie.

-Bon. Tu viens ?"

              Méphisto sourit et glissa sa petite main chaude dans la mienne.