Bien qu’elle ne s’excuse pas d’être elle-même, je voulais préparer Melody à se dévoiler plus encore en me mettant à nu le premier. Ainsi, elle n’aurait pas peur le moment venu. Et puis nous avions déjà prévu ce programme depuis un moment. Après que nous ayons discuté un certain nombre de fois sur ce sujet, nous allions regarder mon émission préférée ensemble.
J’avais conscience que la plupart des épisodes était vraiment cucul et mélodramatique et pourtant, j’aimais le message qu’elle portait. Que rien n’était jamais trop endommagé pour être réparé. Que l’entraide et la solidarité, si elles étaient motivées par une bonne raison pouvaient apporter quelque chose de nécessaire.
J’avais pris un soin particulier de tout nettoyer après que mes frères et sœurs soient partis à leurs diverses activités du mercredi après-midi pour limiter l’inconfort de Melody. Il m’avait fallu beaucoup d’huile de coude pour rendre mon salon semi-présentable, mais au moins même un mysophobe aurait pu s’assoir avec la quantité d’eau de javel que j’avais utilisée dans chaque recoin.
Melody fut aussi ponctuelle que d’habitude et ne commenta même pas sur l’aspect « constamment dérangé » du salon, que je n’avais pas entièrement réussi à gommer. Elle s’installa à côté de moi, sur le canapé familial en cuir, que j’avais recouvert d’une couverture polaire propre pour masquer les tâches indélébiles laissées par trois enfants.
Elle me raconta ce qui s’était passé après les cours. Elle avait passé du temps avec son amie Max, l’une des seules qu’elle avait. Si seulement plus de personnes voyaient sa valeur, elle serait encore plus précieuse. Mais en même temps, j’avais cet instinct un peu égoïste de vouloir garder ce secret caché ; que je sois le seul à pouvoir admirer.
Maintenant qu’elle était présente dans ce lieu non-neutre, j’allais partager quelque chose de plus avec elle, sans savoir ce qu’elle en penserait, ou ce qu’elle penserait de moi. J’avais quand même réfléchi à la meilleure manière de faire ça et sélectionné un épisode qui m’avait plu au préalable.
C’est l’avantage qu’ont les émissions par rapport aux séries. Pas besoin de les prendre au début ni d’être fidèle à chaque rendez-vous pour bien suivre. Parfois, la meilleure manière de raconter une histoire n’est pas chronologiquement. Ici, il n’y avait pas d’histoire, c’était juste qu’il avait fallu à tous le temps de prendre ses marques.
« C’est bon, tu es bien installée ? Tu veux quelque chose à boire ou à manger ?
-Non, ça va aller, on s’est posées dans un troquet avec Max, j’ai grignoté.
-Une pâtisserie, je suppose ? » J’aimais bien la taquiner gentiment, ses joues devenaient pourpres et elle me regardait toujours droit dans les yeux, ce qui demeurait assez rare en temps normal. Et son amour du sucre était un point facile qui ne risquait pas de la vexer. « Haha, tu es hilarant. » Son visage impassible en plus du sarcasme me fit éclater de rire et la dérida également un peu.
« Alors c’est parti pour tous ensemble !! » J’en rajoutai un peu sur l’enthousiasme pour qu’il la gagne également et lançai l’enregistreur. Je passai la séance vidéo à la regarder et analyser ses expressions alors qu’elle décortiquait chaque aspect de l’émission avec passion et expertise. Melody était vraiment captivante.
Au final, on n’arriva même pas à la « meilleure » partie, selon les producteurs de l’émission. Avant que la nouvelle maison ait pu être révélée aux propriétaires, ma mère débarqua avec la marmaille. Evidemment, ils tentèrent immédiatement de se jeter sur mon amie, vu qu’elle était une inconnue pour eux.
Je plongeai pour faire barrière avec mon corps et attrapai les deux plus grands par le tee-shirt, mettant ma jambe comme une barrière pour bloquer la petite. Ils étaient couverts de sueur et Luke, de boue à cause de sport. S’ils la touchaient, elle partirait en courant sans jamais revenir. Heureusement que j’avais assez d’équilibre pour ne pas me faire entraîner vers le sol !
« T’es qui ? » Je fis signe à Melody de se mettre dans le coin près des escaliers, en sûreté, tel un commandant à son soldat. Elle ne se fit pas prier, décampant à toutes jambes, prenant juste le temps de faire son habituelle pirouette pour tourner. « On se calme !
-Hayden, tu ne me présentes pas à ton amie ?
-Plus tard, pour l’instant, tu ne veux pas rappeler tout le monde ?
-Ah non, je n’ai pas du tout le temps, il faut que je parte régler un truc au bureau, je te passe le relai. A ce soir, mes chéris !
-Non, maman, att- » Trop tard, elle était déjà partie, gâchant ma journée par la même occasion. Melody n’allait pas pouvoir rester avec un tel chaos, et je comprenais. Si j’avais pu fuir, j’irais avec elle. « Lâchez-moi une minute, tous dans la cuisine !! » Ils se précipitèrent pour faire leur raid du frigo, me laissant seul avec Melody.
« Je suis désolé, il faut que je te laisser, impossible de les laisser seuls, ils fouteraient le feu à la maison ou une connerie du genre. On remet ça ? » Malgré les plissements entourant sa bouche et transformant son front qui symbolisaient très certainement son aversion, elle semblait en pleine réflexion.
« Vous allez faire quoi ?
-Une activité quelconque pour les occuper. Sûrement du dessin ou de la peinture après le goûter, ça les calme pendant quelques minutes même s’il faut tout nettoyer après…
-Je pourrais en faire aussi ? Je nettoie après, si tu veux.
-Pourquoi tu voudrais t’infliger ça ? » Elle m’expliqua avec patience, prenant le temps de comprendre la racine de cette envie qui ne collait pas à sa personnalité avant de parler. Elle m’avoua quelque chose qui me brisa le cœur.
« Mes parents voulaient une vraie famille, à la base. Ils n’avaient pas du tout prévu d’avoir une fille unique. Mais ils ont admis à plusieurs reprises que je leur ai fait perdre ce désir. Je les ai dégoûtés d’avoir d’autres enfants. Si j’avais été plus facile, ils en auraient eu au moins deux de plus. Je suis responsable de l’absence de vie de ma sœur ou de mon frère. »
J’étais estomaqué. Comment est-ce qu’on pouvait mettre un tel poids, une telle responsabilité sur une petite fille innocente ? Il semblait que cette idée ait été enracinée dans son esprit depuis des années pour qu’il ait eu un tel impact. Et maintenant, elle prenait cette accusation comme une vérité. Si ses parents avaient été plus patients ou l’avaient mieux soutenue, ça ne les aurait pas empêchés d’avoir la vie qu’ils avaient désirée.
Et dire qu’elle faisait de son mieux pour ne pas importuner les autres… Est-ce que ça venait en partie de ça ? Impossible pour moi de le dire, seules elle et sa thérapeute devaient détenir les clefs. Je lui apportai cependant le soutien dont j’étais capable, bien qu’il soit mince. Ne sachant comment m’y prendre, je fus aussi maladroit que toujours.
« Tu sais, tu ne manques rien. Je vais te montrer à quel point les frères et sœurs sont démoniaques ! » Bien que ce choix soit dur à assumer pour elle, il était important de noter qu’elle resta tout le long des activités, se concentrant sur sa feuille malgré les cris, les questions et même les attaques à la peinture.
« Je t’avoue que je ne suis pas mécontente de rentrer chez moi, étrangement. Mais je pense que cette journée était enrichissante. Merci de m’avoir montré ton univers. Effectivement, il n’est pas toujours reposant… Mais n’oublie pas qu’il peut être une richesse, aussi. » Un baiser déposé aussi légèrement qu’une aile de papillon sur chaque joue, et elle s’en alla.
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Tout Ce Qui Compte
RomanceLes gens se désintéressent très rapidement de ce qu'ils ne comprennent pas ; et personne ne comprend Melody. Melody et Hayden sont deux lycéens un peu en marge. Ils traversent leur quotidien chacun de leur côté jusqu'à ce qu'un incident les mettent...