Après l'avoir entraînée dans quelques missions sortant de sa zone de confort, je la sentais prête à affronter le monde. Elle était bien plus forte qu'elle semblait le penser et son contrôle pouvait s'étendre à ses TOCs si elle se l’imposait. J'eus donc envie de la forcer, sans me rendre vraiment compte que je m'étais trop impliqué sans préparation, commettant ainsi une grave erreur.
J'avais voulu m'amuser et la faire rigoler, sans perdre de vue l'objectif de l'aider à surmonter les peurs qui la paralysaient dans la vie courante. Je l'avais soulevée et jetée dans la fosse remplie de balles, profitant du fait qu'elle était vide ; les enfants avaient déjà commencé à se dissiper grâce à l'heure tardive de fin d'après-midi.
Ses yeux d’ordinaire presque en forme d’amandes s’arrondirent de façon spectaculaire malgré ses sourcils froncés. Ses lèvres s’entrouvrirent et tremblèrent légèrement et, au ralenti il me sembla, elle porta la main à son visage. Melody portait à présent un masque d’horreur qui me déchira le cœur parce que j’aurais tout aussi bien pu le peindre sur elle.
J’aurais dû savoir que j’allais finir par outrepasser mes droits, étant le seul à la traiter comme je le faisais. Comme une battante figée devant un obstacle surmontable. Aucun de nous n’avait l’expérience requise pour que ça ne tourne pas en désastre : elle ne me prévenait pas et je n’avais aucun talent pour jauger la situation de moi-même.
Et, après tout, peut-être était-elle mieux de son côté de la barrière ?
« Melody, je suis désolé… Je, je n’ai pas réfléchi. Ne pleure pas, je t’en supplie… » Trop tard, comme toujours. Les sanglots secouaient déjà sa poitrine et ses épaules, pareils à de douloureux spasmes. Je lui tendis la main pour la tirer des flammes de l’enfer dans lesquelles je l’avais poussée.
Mon amie était trop sous l’emprise de son désarroi pour la voir alors je sautai à côté d’elle et m’enfonçai dans les balles. En me concentrant pour « nager » jusqu’à elle, je réalisai que je pouvais discerner individuellement chaque endroit où le plastique me touchait. C’était cette sensation qui avait dû être écrasante pour Melody.
Avec bien plus de précaution que j’en avais fait preuve jusqu’ici, je la pris dans mes bras pour la surélever par-dessus mes épaules et parvint avec difficulté à ramener sa forme immobile jusqu’à la « rive ». Heureusement que je n’étais pas étranger à l’exercice physique parce que cette traversée n’était pas si différente à des sables mouvants.
Je m’apprêtais à la sortir de la fosse lorsqu’elle réagit enfin, me revenant. Un éclat de détermination fit briller ses yeux comme j’avais rarement vu. Cette petite étincelle illumina tout son visage et remplaça sa grimace de malaise par un sourire presque malicieux ancré dans une expression inébranlable.
« Si tu ressens le besoin de sauter dans la douche, je peux te ramener tout de suite, on arrivera chez toi assez vite et tu peux me faire la gueule aussi longtemps que tu veux.
-Laisse-moi juste 34 secondes, que je me reprenne en main. » La jeune femme qui haïssait les approximations resta silencieuse seulement le temps qu’elle m’avait annoncé, calmant sa respiration et semblant se préparer au pire.
« Maintenant qu’on en est là, autant faire quelque chose de productif. Et tu vas m’aider.
-Comme tu veux, je suis à ton service ! » Soulagé qu’elle ne semble pas retenir ma négligence contre moi et heureux qu’elle ose me demander ça si directement que c’en était presque un ordre, je glissai un autre billet au propriétaire du stand pour qu’il ne commence pas encore à ranger et repousse l’heure de la fermeture. Enfin, Melody m’incluait d’emblée dans un projet, ce n’était pas pour que cette avancée soit piétinée immédiatement.
Bien que nous étions les deux derniers, le patron m’indiqua après un haussement d’épaules qu’on pouvait rester un peu plus avant de s’affaler à nouveau sur sa chaise en plastique.
Je fis un autre plongeon, cette fois tête en avant et ne remontai à la surface que lorsque j’estimai me retrouver près de Melody. Visage dégagé de sa chevelure repoussée sur le côté, elle était déjà en train de s’activer à une tâche qui occupait son esprit et son corps, entiers.
« Qu’est-ce que je dois faire, moi ? » Elle jetait les balles à chaque coin et je mis juste une poignée de secondes à comprendre qu’elle triait les balles par couleur. Je m’affairai à sa droite pour accélérer le processus en fredonnant les musiques qui me passaient par la tête pour me donner un rythme à suivre.
Je ne sais pas combien de temps cette entreprise ambitieuse nous prit mais on ne sortit qu’une fois que la lune fut haut perchée dans le ciel. J’hésitai à demander si elle avait compté combien de boules étaient passées entre ses mains mais je savais que cette information était casée dans un tiroir de son esprit car elle la perturbait visiblement, vu la manière dont elle tentait d’essuyer ses paumes sur son jean.
Une fois extirpés de la piscine, le vieux moustachu secoua la tête. « J’trouve ça presqu’ dommage de ranger ça ! » Effectivement, l’organisation et le soin dont nous avions fait preuve avait porté ses fruits. Le vert, le bleu, le jaune et le rouge se touchaient sans se mélanger, une claire délimitation les séparant. Cette cohabitation ravissait et apaisait ma petite Melody.
« Bon boulot les enfants, j’devrais p’tet vous engager pour s’occuper d’l’esthétisme de mon stand ! » Un rire un peu gras retentit alors qu’il frottait son embonpoint comme s’il avait raconté une super blague. « Merci de nous avoir laissé le temps de finir. Bonne soirée.
-Vous aussi, les jeunes ! Au plaisir ! » Enroulant son bras dans mon coude, créant une proximité qui me plaisait et repoussant ses cheveux de l’autre main, elle me signala : « Je veux bien que tu tiennes ta promesse de plus tôt maintenant. »
Heureux et toujours aussi impressionné qu’elle n’hésite pas à demander ce qu’elle voulait, je la reconduisis chez elle et elle fonça sous la douche pendant que je rentrais chez mes parents.
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Tout Ce Qui Compte
Storie d'amoreLes gens se désintéressent très rapidement de ce qu'ils ne comprennent pas ; et personne ne comprend Melody. Melody et Hayden sont deux lycéens un peu en marge. Ils traversent leur quotidien chacun de leur côté jusqu'à ce qu'un incident les mettent...