24 - Hayden

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Ma femme est si belle quand elle dort… certes, moins que lorsqu’elle est éveillée et que l’intensité de son regard me cloue sur place. Quand même… Elle est beaucoup plus sereine depuis quelques années, et, dans son sommeil, c’est exacerbé. La paix ultime. Ça me fait sourire de la savoir apaisée.

A cette heure-ci, je devrais être en train de me préparer pour aller courir avant le boulot mais ce ne sera pas pour ce matin. Sinon, je raterai la chance de lui dire au revoir. Malheureusement, je ne vais pas pouvoir rester à la contempler non plus, vu l’heure.

Comme une ancienne horloge à coucou, Melody ouvre les yeux à 7 heures pile. Je ris dans un souffle de cette particularité qui fait partie intégrante de la femme que j’aime. J’éloigne ses longs cheveux de son visage d’ange, suivant notre rituel pour qu’elle m’adresse la parole.

« J’ai fait un rêve…

-Il avait l’air plaisant.

-Très. Je marchais sur les nuages vers l’horizon… vers la voie lactée. La lune était pleine et si magnifique au milieu de ce tapis d’étoiles que j’ai cherché à m’en approcher. Je portais une robe de mariée incroyable mais qui n’avait rien à voir avec la mienne.

-Elle était comment ?

-La partie haute avait un plissé qui se rassemblait au milieu de la poitrine et à partir de la taille, les couches de tissu de longueurs différentes descendaient jusqu’à mes pieds comme si elles dansaient. »

Effectivement, elle n’avait rien à voir avec la vraie... Celle dans laquelle elle m’avait promis que nos vies seraient liées et nos destins plus remarquables grâce à l’autre. Sa tenue avait été courte, frôlant le dessus de ses genoux ; les manches et la naissance de son décolleté faits de dentelle et le reste de tissu fluide et léger qui avait voleté dans le zéphyr provenant de la mer.

Elle l’avait choisie parce qu’elle lui avait rappelé celle qu’elle avait portée lors de notre premier rendez-vous, sous son blouson en jean. Ce qu’elle ne savait pas c’était que je l’avais déjà vue dedans une fois précédant celle-ci. Je ne lui ai pas raconté.

Le jour de notre mariage, j’avais paru aussi décontracté qu’elle alors que les nerfs nous avaient rongés tous les deux. Pour aller avec sa petite robe blanche et sa couronne de fleurs de couleurs vives, j’avais mis une simple chemise, ouverte à cause de la chaleur et un pantalon en lin. Nous n’avions pas de chaussures pour pouvoir sentir le sable puis l’eau sur nos pieds.

Ça avait été magique et tout aussi naturel que notre relation. Personne d’autre n’avait partagé ce moment privilégié. Notre amour n’appartenait qu’à nous. « Celle-là semblait presque symboliser la liberté. Je sais que c’est stupide…

-Non, c’est une façon personnelle et originale de décrire un vêtement mais ce n’est pas stupide. De toutes manières, ça ne peut pas l’être vu que ça sort de ton esprit. » Un petit clin d’œil pour mieux faire passer ma flatterie et je continue de m’exprimer librement comme elle m’a appris à le faire.

« Je t’avoue que j’ai un peu de mal à visualiser mais c’est l’inconvénient d’être un mec !

-Oui, c’est sûr que tu es le « mec de base » par excellence, Mr Stéréotype !

-Au lieu de te moquer de mon langage, tu ne veux pas me raconter la suite ? » Son regard, qui me fusille de manière joueuse, s’attendrit quand elle reprend son récit.

« Comme je n’arrivais pas à atteindre la lune, je me suis baissée pour regarder le monde à travers les nuages. J’ai trouvé tout ce qui m’a enchaînée pendant 12 ans, 3 mois et 8 jours insignifiant. J’ai bien conscience que chacun de mes TOCs a été utile à un moment ou un autre mais ceux qui m’entravaient sont si loin, maintenant…

Ensuite, j’ai tourné la tête et remarqué que tu étais à côté de moi. Tu m’as tendu la main et je l’ai attrapée, un peu comme au premier jour. Et on est partis vers le soleil ensemble ; sans peur de se brûler.

-Le scénario est assez mignon, je dois dire ! J’aimerais bien pouvoir rentrer dans tes rêves de temps en temps… mais bon, tant que personne n’aura inventé de technologie pour ça, je vais me contenter de les voir par procuration quand tu me relate tout le matin suivant. »

Je vérifie la pendule et remet ma rêveuse sur le droit chemin. « En tout cas, maintenant il faut te lever sinon tu vas être en retard pour ton avion. Florence t’attend !

-Mais bien sûr ! Comme si j’avais été en retard ne serait-ce qu’une fois dans ma vie ! Certes, je suis beaucoup plus zen et j’ai appris à lâcher du lest mais pas à ce point-là, je reste Melody. Et puis ces œuvres ont entre 350 et 403 ans, elles peuvent attendre 4 minutes de plus.

-Et Max ?

-C’est encore moi qui vais me retrouver à l’attendre à l’embarquement, tu verras. Je l’adore mais elle va finir par me rendre dingue !

-Si elle n’a pas réussi jusqu’ici, tu n’as pas à t’inquiéter. »

Son amie d’enfance et elle sont toujours aussi proches, une rareté. Son poste de journaliste culturelle lui permet parfois de suivre Melody dans ses voyages, quand je ne peux pas l’accompagner. Son argument de poids est le tournage de reportages uniques sur le travail de restauration par lequel passent les œuvres, qui ravissent les passionnés d’art.

« Toi, par contre, si tu es en retard tu risques de te faire taper dessus.

-C’était juste une fois, et puis mes jeunes ne sont pas plus ponctuels que ta BFF ! » Je gère un foyer social qui est comme une dernière barrière avant la rue ou la délinquance. Du coup, j’aide ces ados perdus du mieux que je peux pour qu’ils ne soient pas exclus de la société et qu’ils apprennent à s’exprimer plus sainement que par la violence.

Tous ne sont pas réceptifs et certains rejettent toute forme d’assistance mais ma femme m’a appris comment me mettre à la place d’un autre et à ne jamais abandonner quelque chose qui me tient à cœur. Et ces jeunes, qui auraient pu être moi, me tiennent à cœur comme s’ils faisaient partie de ma famille.

On se lève en chœur et on se prépare pour la dernière fois jusqu’à la fin du mois, jusqu’à ce qu’elle me revienne après 2 semaines dans un autre pays. Je la tire à moi avant qu’elle ne parte et elle se laisse faire en effectuant une pirouette. Je l’embrasse le temps qu’elle m’accorde puis la laisse partir comme je le dois.

On est toujours sur le même pied d’égalité qui l’avait tant séduite et dont j’avais besoin. Pourtant, on a tellement avancé, tant ensemble que séparément. On est infiniment mieux maintenant qu’au départ.

Si on ne s’était pas rencontrés, qui sais où on en serait à présent. A tel point que j’ai presque envie de partager notre histoire. On s’est mutuellement sauvés. J’ai été son guide, et elle, mon but.

Tout Ce Qui CompteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant