Prologue

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Surdoué. Le verdict est tombé. « Surdoué » a dit la psychologue. J'avais huit ans. A l'époque, je ne réalisais pas encore ce que cela impliquait, mais je n'allais pas tarder à m'en rendre compte. Tout d'abord il y avait eu les exercices en plus pour que, soi-disant, je ne m'ennuie pas en classe. Bon, passe encore. Puis il avait fallu me changer d'école pour m'envoyer dans un établissement spécialisé pour « les gens comme moi ». C'était pour mon bien, disait-on. Au début, j'avoue que cette idée m'enthousiasma plutôt : j'avais toujours eu des difficultés pour communiquer avec les autres et je n'avais guère d'amis à l'école. Et encore ! Si je pouvais appeler ces personnes des « amis »... J'allais enfin rencontrer des gens capables non seulement de m'écouter, de me comprendre mais aussi, et surtout, de m'accepter tel que j'étais ! Malheureusement cet enthousiasme n'était pas pour durer. A peine avais-je mis les pieds dans cet établissement (qui soi-dit en passant était à des kilomètres de chez moi) que ce fut la douche froide. Je n'étais pourtant venu avec mes parents que pendant quelques heures pour découvrir le bâtiment, rencontrer les adultes qui y travaillaient et parler plus amplement de moi et de mon inscription. Mais déjà, un profond sentiment de haine et de dégoût à l'égard de cet établissement pour surdoués ainsi que pour tous ceux qui s'y trouvaient s'empara de moi.

C'était une immense bâtisse grise et austère avec un toit d'ardoise. Elle emplissait tout mon champ de vision, si haute qu'elle masquait l'horizon. J'avais beau la regarder, elle et son gigantesque portail de fer noir et grinçant surmonté d'une flèche, avec tout le ressentiment dont j'étais capable, cela ne changeait rien. Elle restait là, sans broncher, unique obstacle entre moi et la Liberté. Sa façade grisâtre était percée de nombreuses fenêtres, pareilles à un milliard d'yeux qui, me semblait-il, me fixaient d'un air réprobateur. « Allons, courage Mathis ! » me dis-je en moi-même, en tentant vainement de maîtriser le tremblement qui secouait mes genoux. « Ce sera sûrement mieux à l'intérieur ». Mais au fond de moi je savais bien que ce ne serait pas le cas.

Aussi est-ce sans grand espoir, qu'accompagné du proviseur, je poussai la grande porte de bois pourri et pénétrai dans ce lieu délabré. L'odeur de moisi émanant du vieux tapis mité qui trônait au milieu du hall me prit immédiatement à la gorge. Je me trouvais dans un large vestibule entouré de petites colonnes de marbre, sur lesquelles étaient posés les bustes de célèbres génies comme Einstein, Darwin ou De Vinci. Il y avait aussi quelques philosophes des Lumières et, sur l'un des portraits accrochés aux murs, je crus même reconnaître Victor Hugo. Je tournai sur moi-même dans la salle circulaire pour en enregistrer les moindres détails, sous l'œil évaluateur du directeur. Je sentais qu'il guettait chez moi un quelconque signe d'admiration et, tout en scrutant la vaste pièce, je m'efforçai de prendre un air ébahi devant l'illusoire magnificence du lieu. Il parut satisfait et je pus reprendre tranquillement mon minutieux examen. Devant moi, se dressait une immense porte de bois sombre cerclée de fer et, à ma droite, serpentait un grand escalier de pierre avant d'aller se perdre dans les étages. Enfin de chaque côté se trouvait une petite porte. Sur chacune d'elle figurait une inscription en vieilles lettres dorées et écaillées. A droite, on distinguait encore, bien que difficilement, le mot « internat » et à gauche, un petit peu plus facilement, « salles de classe ». D'instinct, je fus tenté de me diriger vers la porte de gauche. Mais, avant même que je puisse amorcer le moindre mouvement dans cette direction, le proviseur m'arrêta :

« Non, pas par là jeune homme ! Nous allons tout d'abord visiter le réfectoire. Et, joignant le geste à la parole, il fit un signe de la main en direction de la grande porte. Nous verrons cela après. Chaque chose en son temps, si vous le permettez. »

« Curieux » pensai-je. Comment avait-il su par où je m'apprêtais à passer alors que je n'avais encore rien fait, rien dit ? Et un frisson glacé me parcourut l'échine. Le directeur dut percevoir mon malaise, car il m'attrapa par l'épaule et me traîna vers la grande porte.

GENIUS - Tome 1 : TrahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant