Cette nuit-là, je ne parvins pas à trouver le sommeil. M. Manéchal ne m'avait pas adressé la parole de tout le cours d'informatique et, même lorsque j'avais tenté de m'excuser, (pour je ne sais pas trop quoi d'ailleurs) il s'était contenté de bredouiller un vague « C'est pas grave, Menson » d'un ton tellement froid que c'était presque pire que s'il s'était tu. D'autant plus que son attitude vis-à-vis de moi n'avait pas changé par la suite : il faisait comme si je n'existais pas. Et encore s'il n'y avait eu que ça ! Mais ce que j'avais lu sur le darknet m'avait pas mal fait flipper et jusque-là, seule la perspective d'en savoir plus m'avait empêché de céder à la panique. Or maintenant que M.Manéchal avait refusé de me répondre, je ne voyais pas qui pourrait m'aider et, s'il y avait une chose dont j'avais peur c'était bien l'inconnu. En tant que surdoué je comprenais plus facilement et plus rapidement que la moyenne des gens et j'avais toujours mis à profit ces avantages pour comprendre et interpréter les « ennemis » (comme j'aimais à les appeler), les choses terrifiantes ou difficiles du monde qui m'entourait. Or l'existence du darknet faisait partie de ces choses et en était même l'une des plus effrayantes pour quelqu'un qui, comme moi, considérait internet comme un terrain connu et familier. Être conscient de l'existence du darknet sans connaître sa nature exacte, c'était comme savoir qu'un danger menaçait tout votre univers sans savoir quand il frapperait, ni comment. Autrement dit j'avais la (ô combien désagréable !) impression d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête !J'eus beau me tourner, me retourner et me re-retourner pendant des heures dans mon minuscule petit lit ; rien à faire ! Je ne parvenais pas à m'endormir. Et le pire dans tout ça, c'était que ressasser sans cesse les événements des derniers jours ne m'avançait en rien, bien au contraire ! Je laissai mon regard vagabonder dans la pénombre, perdu dans mes souvenirs.
J'avais de nouveau huit ans et c'était l'une de mes premières nuits à l'internat, loin de chez moi et de mes parents. Allongé dans le noir complet et impénétrable, sur mon matelas dur comme de la pierre, terrorisé et frigorifié, il m'arrivait de faire des nuits blanches. L'armoire, le bureau et les ombres, par la pénombre allongées, étaient comme autant de monstres terrifiants surgis des méandres de mon cerveau d'enfant. Le silence nocturne m'oppressait et je me sentais observé de toute part. J'enfouissais alors ma tête dans mon oreiller et tentais d'échapper aux regards rouges et luisants de méchanceté des créatures de l'Enfer. Je fondais en sanglots étouffés qui ne cessaient qu'au matin, mes yeux rouges et gonflés. Et si, par le plus grand des hasards, rompu de fatigue, je parvenais à fermer l'œil c'était pour me réveiller en sueur à la suite de cauchemars particulièrement horribles. Dans ces moments-là, je me mettais à crier de toutes mes forces, à appeler désespérément papa et maman. Mais seul le silence nocturne me répondait, entrecoupé de temps à autre par les ronflements et les moqueries et protestations de mes camarades réveillés par le bruit. Alors je hurlais encore plus fort, à m'en déchirer la gorge et je m'enfuyais à travers les couloirs en direction des toilettes pour aller vomir. C'était sûrement en grande partie à cause de la bouillie dégueulasse que l'on nous donnait pour dîner, mais pas seulement... Une ou deux fois, il est arrivé qu'un surveillant, alerté par les cris, m'intercepte. Alors il me frappait comme il savait si bien le faire, assez fort pour me faire mal mais pas suffisamment pour que je m'évanouisse, histoire que je puisse profiter pleinement de ma souffrance et de manière à ce qu'aucune marque, trace, bleu ou bosse n'apparaisse sur ma peau. Et comme d'habitude, nuit après nuit, je le laissais faire, pauvre, faible, soumis, incapable de me défendre... C'est fou comme l'homme peut s'habituer à tout : le meilleur comme parfois, le pire...
Non, pas cette fois ! Pas encore ! Je n'étais plus ce gamin de huit ans pleurnichard qui se contentait de subir en attendant, sans rien faire, bras ballants. J'avais grandi maintenant et si je voulais des réponses, et qu'on persistait à refuser de me les donner, alors j'irai les chercher moi-même ! Les années avaient passé mais rien de tout cela n'avait changé, moi seul m'étais adapté. Je repoussai mes couvertures et me levai sans bruit pour ne pas réveiller Quentin, mon voisin de chambre. Je mourais de chaud et mon intention était d'aller me passer un peu d'eau fraîche sur le visage avant de débuter ma quête aux réponses, quand mon regard se posa sur mon ordinateur portable. Oubliant la chaleur et la fatigue, je m'assis à mon bureau et l'allumai. Qu'aurait dit M. Manéchal en apprenant ce que je m'apprêtais à faire ? Non ! Ce n'était pas le moment de penser à lui avec ses règles stupides par rapport à la loi et patati et patata... Il m'avait lâchement abandonné ! Je me tournai de nouveau vers l'écran de mon ordinateur et la pâle lueur qu'il émettait me réconforta quelque peu. Alors voyons... qu'est-ce qu'il était dit déjà sur la façon d'accéder au darknet dans ce fichu article ?! Si seulement j'avais pu avoir cette satanée revue sous la main... ou ne serait-ce qu'une toute petite note de rien du tout !
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GENIUS - Tome 1 : Trahisons
ParanormaleMathis Menson, un jeune surdoué de treize ans méprisé par ses camarades de classe et délaissé par ses parents, s'ennuie à mourir dans le pensionnat pour enfants précoces où il vit depuis ses huit ans. Sa seule distraction : le piratage informatique...