Chapitre 15

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Un vent violent me fouettait, bloquait ma gorge et m'empêchait de respirer et un bruit de fracas me parvenait aux oreilles. Comment était-ce possible ? L'immense tornade se dressait devant moi, balayant tout sur son passage. J'avais la tête qui tournait, le bruit était insoutenable. Désorienté, je me pris le visage entre les mains et chancelai à la recherche d'un repère quelconque au milieu de cette pagaille. Les morceaux de verres des vitres brisées se mêlaient aux débris divers et variés de vieilles ampoules, de fragments de bois et de métal menaçant de me décapiter à chaque instant. Au-delà de tout ce boucan, j'entendais vaguement les cris entrecoupés de Timothée et du Chaman qui tentait de le retenir.

- SARAH ! SARAAAAAHHH !

- Calme-toi ! Ça ne sert à rien de se précipiter au-devant du danger. Ne te fais pas plus bête que tu ne l'es et aide-moi plutôt à contenir cette tornade !

Sarah, Sarah... mais oui ! Où était-elle ? Il fallait que je la protège. J'ouvris grand les yeux pour tenter de voir à travers le rideau de saleté tourbillonnant. La poussière m'irritait les yeux et la gorge. Il m'était d'autant plus difficile de l'apercevoir avec les larmes qui me brouillaient la vue. Je voulus l'appeler de toutes mes forces, crier plus fort que le vent pour qu'elle puisse m'entendre mais je ne parvins qu'à me déchirer la gorge. Je fus pris d'une quinte de toux si violente que je m'effondrai sur le container. L'espace d'un instant mes jambes pendirent dans le vide et je faillis être happé par le tourbillon. Je me retins au dernier moment à une poignée de fer et commençai à ramper à la recherche d'un autre point d'appui. C'est alors que ma main en rencontra une autre, plus petite : Sarah ! Je resserrai mon étreinte au moment où dans un grand bruit de métal le corps de la jeune fille se détachait du caisson pour être aspirée dans le cœur du monstre d'air. Seul mon bras trop maigre la maintenait encore envie. "Mathis, aide-moi !" Je ne sais pas trop si elle s'était vraiment adressée à moi ou si sa pensée avait été si puissante que j'étais parvenu à la capter mais quoi qu'il en soit, son injonction m'avait redonné du courage. Je formai sur mes lèvres un "Tiens bon !" silencieux presque comme une prière, et monopolisant toutes mes forces physiques (presque rien) et mentales (un peu plus), je réussis par je ne sais quel miracle à la ramener sur le container. Elle s'allongea et agrippa avec une présence d'esprit incroyable les poignées et je la couvris de mon corps en me maintenant aux rebords. Mais notre situation était loin d'être stable : si la tornade continuait de gagner en puissance notre container valdinguerait au loin et nous avec. Il devait bien exister un moyen d'arrêter cet ouragan, qui était tout, sauf naturel ! On aurait dit qu'il avait été fait sur mesure pour nous, juste assez large pour entourer notre caisson, juste assez haut pour ne pas détruire le plafond, juste assez puissant pour attirer les objets inanimés mais pas les personnes se trouvant à l'extérieur de son halo... La vérité s'imposait d'elle-même : nous étions victimes d'un attentat. En d'autres termes, quelqu'un essayait de nous tuer, nous, en particulier. J'étais tellement occupé à réfléchir que j'en oubliais d'avoir peur.

Le container commençait déjà à trembler quand je l'aperçus. Par le plus grand des hasards, mon regard s'était posé sur la porte du hangar et sur cette petite silhouette sombre qui se tenait juste à côté, à demi accroupi pour lutter contre la force du courant d'air. Sans perdre un instant, je profitai d'un moment propice et me servis de la tornade comme d'un mégaphone géant :

- Par ici, juste là ! m'époumonai-je à l'adresse des jumeaux et du Chaman, que j'espérais se trouver à l'écart du cyclone, et levant l'index vers le mystérieux agresseur.

Mais, manque de chance, lui aussi m'avait vu. Le temps que les gars fassent volte face et se lancent à sa poursuite, il avait déjà disparu et la tornade avec lui. La porte de l'entrepôt claqua derrière eux et les débris en suspension dans l'air retombèrent sur le sol dans un ramdam pas possible. Le calme était revenu d'un coup sur l'entrepôt. Je restai un instant interdit, les bras croisés sur ma nuque pour me protéger, je n'osais pas regarder autour de moi de peur de ce que j'allais découvrir. J'aurais pu rester longtemps dans cette position si Sarah n'avait pas remué un peu sous moi. Je me dégageai pour lui permettre de se redresser. Elle ne se laissa pas le temps de se remettre de ses émotions : elle était visiblement très bouleversée (cheveux en pagailles et veste déchirée) et descendit du container pour se lancer elle aussi à la poursuite de la personne qui cherchait à nous nuire. Ni une ni deux, je bondis à terre et m'élançai à mon tour. Quand nous parvînmes essoufflés devant la porte de l'entrepôt, j'eus la frayeur de ma vie. En face de moi il n'y avait rien, vraiment rien. Je ne pourrais pas vous décrire ce que je voyais, par la suite j'ai essayé plusieurs fois de restituer mon impression mais je me suis heurté à plusieurs difficultés : d'abord le concept même du rien dépasse votre imagination, si je vous dis rien, vous imaginez un vaste espace noir. Là où je me trouvais, il n'y avait pas de couleurs, pas de textures, pas de formes. C'était comme si un gouffre abyssal s'était trouvé juste derrière la porte. Deuxième problème : on ne peut décrire le rien puisqu'il n'y a véritablement rien à décrire. Je voulus reculer avant de franchir le seuil de la porte, mais, emporté par mon élan, je continuai à avancer et, à ma grande surprise, ne tombais pas. En fait, il ne se passait rien. Je n'étais en contact avec ou en suspension dans aucune surface : je ne marchais pas mais je ne volais pas non plus. J'étais là et c'était tout.

GENIUS - Tome 1 : TrahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant