Chapitre 7

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Le lendemain matin, ma punition me dispensant d'aller en cours, je dormis jusqu'à tard. Si bien que, quand je me levai, la matinée était déjà bien avancée et l'heure du déjeuner approchait. Je mourais de faim et, en attendant le repas que l'on devait m'apporter, j'eus tout le temps de ruminer les événements de ces derniers jours. Ma cheville était rouge et gonflée mais j'avais déjà moins mal.

Aux alentours de midi trente, lorsque j'entendis la clé jouer dans la serrure, je me ruai sur la porte et l'ouvris à la volée. Le garçon chargé de me faire passer mon plateau faillit avoir une crise cardiaque (la diversion parfaite) et j'en profitai pour lui subtiliser la clé, ni vu, ni connu, j'étais libre. Je dévorai en quelques instants mon maigre repas composé d'un poisson pané à l'étrange couleur grisâtre et d'un peu de riz à l'odeur tout aussi bizarre. Quand ce fut fait, je retirai mes vêtements de la veille et enfilai mon uniforme scolaire, tâchant de paraître un peu plus présentable. Il fallait que je parle à quelqu'un. Mes parents étant à l'autre bout du monde, il ne me restait qu'une seule solution : M. Manéchal. Malgré la réponse qu'il m'avait faite l'autre jour, il était l'unique personne en qui je pouvais avoir entièrement confiance et il trouvait toujours le moyen de m'aider à m'en sortir, quel que soit le guêpier dans lequel j'étais allé me fourrer.

Profitant de la pause déjeuner, je m'aventurai hors de ma chambre et travers ailes couloirs déserts. J'allai frapper à la porte de son bureau, espérant qu'il s'y trouverait. J'attendis quelques instants devant le panneau de bois et, alors que je m'apprêtais à renoncer, il s'ouvrit.

- Bonjour Monsieur... euh... Excusez-moi de vous déranger mais...

Il m'adressa un large sourire qui me prit au dépourvu et s'exclama :

- Mais voyons tu ne me déranges pas du tout ! Je t'en prie Mathis, rentre.

Sans me méfier, je franchis le seuil de la porte et réalisai trop tard que je venais de faire la pire erreur de ma vie. M. Manéchal, sa taille moyenne, ses épaules larges, ses yeux bleus, sa façon de me parler... Et cette phrase, ces cinq petits mots : « Je t'en prie Mathis, rentre... » Ces mêmes mots prononcés la veille par Le Chaman ! Le Chaman ! C'était l'anagramme parfait de Manéchal ! Oh, comment avais-je pu être aussi stupide ?

M.Manéchal (pouvais-je continuer à l'appeler ainsi alors que lui et Le Chaman ne faisait qu'un ?) dut percevoir mon trouble car il me demanda :

- Tout va bien, Mathis ? De quoi voulais-tu me parler ?

- Et vous alors, vous n'avez rien à me dire ? Qui êtes-vous et que faisiez-vous hier soir dans la forêt ? Que me voulez-vous ? répondis-je sans réfléchir, la colère prenant le pas sur le bon sens.

Je m'attendais à ce qu'il nie les faits ou refuse de répondre mais au lieu de cela il poussa un grand soupir et s'assit sur son bureau, l'air désolé.

- Pardonne-moi Mathis, je ne voulais pas en arriver là. Mais pourquoi es-tu si curieux, pourquoi veux-tu toujours tout savoir ? Il est trop tard maintenant. C'est de ma faute, je ne suis pas parvenu à te protéger suffisamment. Allez-y les gars.

A ces mots, deux ombres jaillirent de derrière le bureau et je ressentis une vive douleur à l'arrière de la tête. Un liquide chaud me coula le long du cou et je me sentis glisser inexorablement vers le vide. Deux mains puissantes me rattrapèrent puis, plus rien. Le noir total.

Quand je revins à moi, j'étais ligoté et bâillonné, couché dans le coffre d'une voiture en marche. Le volume de l'autoradio devait être monté à fond car un morceau de rock me cassait les oreilles. Il me fallut quelques minutes pour me rappeler comment j'avais pu en arriver là, la douleur qui me sciait le crâne en deux n'aidant pas. Une bouffée de panique m'envahit : on m'avait kidnappé et personne ne s'en rendrait compte avant au moins vingt-quatre heures ! Tout le monde croirait que j'étais dans ma chambre et mon absence en classe n'aurait rien de bizarre. Il fallait absolument que je m'échappe. Je secouai vigoureusement la tête pour faire glisser mon bâillon (ce qui n'arrangea pas mon mal de tête) puis j'ouvris grand la bouche et entrepris de dénouer le nœud qui m'entravait les mains à coups de dents, avant de m'attaquer à celui m'immobilisant les jambes. Une fois libéré de mes entraves, je commençai à donner des coups de pieds de toutes mes forces dans la porte du coffre : si l'horrible musique avait un avantage, c'était que son volume empêchait mes kidnappeurs de m'entendre. Mais je ne parvins qu'à me faire mal à la cheville. Épuisé par l'effort, je me roulai en boule dans un coin. De toute façon l'espace dans lequel je me trouvai était si exigu qu'il m'aurait été impossible de tenir dans une autre position.

La route que mes ravisseurs empruntaient était extrêmement chaotique et j'étais projeté contre la paroi du coffre chaque fois que la voiture rebondissait sur un nid de poule. L'estomac retourné, je me résignai donc à rester coincé ici pendant toute la durée du trajet. Tant pis, je tenterai de m'évader plus tard. De toute façon il ne devait pas y avoir grand monde chez qui j'aurais pu me réfugier dans le coin et, en cas de poursuite, dans l'état où j'étais, il m'aurait été impossible d'échapper très longtemps à ceux qui m'avaient enlevé. Si au moins je m'étais trouvé en terrain connu, j'aurais pu tenter de m'en sortir en me montrant plus malin qu'eux et en les perdant dans un dédale de ruelles que j'aurais été le seul à connaître ; mais j'ignorais combien de temps j'étais resté inconscient et j'étais, selon tout probabilité, loin des lieux qui m'étaient un tant soit peu familiers.

La suite est assez confuse dans mon esprit. Je crois que je me suis endormi, à moins que je ne sois retombé dans les vapes.

GENIUS - Tome 1 : TrahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant