Terrifié, je reculai, tentant de mettre le plus de distance possible entre moi et l'ordinateur. Mes genoux heurtèrent violemment la chaise et je tombai en arrière. Tandis que je me redressais mon regard se posa sur l'écran et les lettres de sang semblèrent danser devant mes yeux, m'appelant irrésistiblement. Je m'assis et commençai à parcourir avidement la page, toute frayeur envolée.
Salutations, internaute du darknet. Habituellement trois catégories de personnes visitent cet endroit :
- Les criminels : pervers, serial-killers et autres personnes peu recommandables...
- Les flics, qu'ils soient pourris ou sous couverture (l'un n'empêchant pas l'autre)
Et puis il y a nous... les hackers ! Nous sommes les maîtres incontestés de l' « internet noir ». Ici, c'est nous qui décidons, c'est en quelque sorte notre « coin de paradis ». Si nous voulons que les méchants soient démasqués, et ce malgré toutes les protections qu'offre le darknet, nous le pouvons. Il en va de même lorsque nous ne souhaitons laisser aucune trace de notre passage. Quelque part entre le bien et le mal, entre la police et les criminels, nous rendons parfois service aux forces de l'ordre mais nous sommes contraints de les éviter étant donné nos « petits » écarts de conduite. En d'autres termes, nous avons le pouvoir ! En est pour preuve l'envoie de ce message. Surtout ne le prends pas mal, nous n'avons rien contre toi. En fait tu nous intrigues, vois-tu, nous ne savons pas qui tu es ni ce que tu fais là. Et c'est le genre de chose qui n'arrive pas si souvent, crois-moi ! Ce dont nous sommes sûrs, en revanche, c'est que tu as du potentiel. Quoi qu'il en soit, imagines-tu notre surprise lorsque, après avoir retracé l'adresse IP de ton ordinateur, nous avons découvert que tu passais par le serveur de la très prestigieuse école pour surdoués Albert Einstein. De fait, tu es un élève. (Ben oui, nous osons espérer que les profs ne sont pas des criminels) et tu ne fais donc partie d'aucune catégorie, ce qui nous pose un sacré problème. Alors nous t'avons baptisé « le petit surdoué trop curieux », qu'en dis-tu ? Oh là là... Que dirait le directeur s'il savait que la réputation de son établissement était entachée ainsi ! Enfin, là n'est pas la question... Non ! L'important c'est que tu sois un surdoué. Or, récemment, nous avons mené deux ou trois recherches, histoire de nous amuser un peu. Les résultats : certaines personnes particulièrement intelligentes (plus de 170 de Q.I) seraient capables d'interagir avec leur environnement, particulièrement en lisant dans les pensées ou en déplaçant des objets sans les toucher. Si tel est ton cas, rejoins-nous demain soir, mardi, à minuit dans la clairière qui se trouve au cœur de la forêt, non loin de ton lycée.
En espérant t'y voir,
Le Chaman et son équipe.
QUOI ?! Lire dans les pensées, déplacer des objets... Mais c'était impossible ! Totalement impossible ! « Quoique..., fit une petite voix dans ma tête, L'autre jour n'as-tu pas fait apparaître ton carnet sur ton lit ? Et tout à l'heure, dans ta sacoche ? Au fond, voilà qui expliquerait tout ! » De plus « Le Chaman » était un étrange pseudonyme qui me disait quelque chose, mais je n'arrivais pas à me souvenir quoi. Ou plutôt, le mot en lui-même m'en rappelait un autre, connu, à la fois étrangement semblable mais différent... C'était...
« Un nom de fou sectaire ! » fit une autre petite voix (qui devait être celle de la raison) Mais comment avais-je pu me faire avoir ! Même une seule seconde ! Ils essayaient de me duper et j'avais failli tomber dans le panneau ! L'histoire du carnet c'était le genre de choses qui arrivait à tout le monde. On cherche un objet alors qu'on l'a sous les yeux. Et puis un chaman c'était juste un sorcier, autrement dit un taré, qui dans les tribus anciennes, soi-disant, communiquait avec les animaux. Comment avais-je pu avoir cette étrange impression de familiarité ? C'était sûrement une question de psychologie, les paroles de ces maboules avaient pénétré mon esprit et je m'étais fait manipuler. D'ailleurs ces mots m'avaient tout de suite attiré et c'est pour ça que je les avais lus ; il était évident que quelque chose se cachait là-dessous ! Qui sait ce que ces gens m'auraient fait si je m'étais rendu dans la forêt ? Brrr ! Les fous qui m'avaient contacté étaient sûrement tout aussi dangereux que ceux de la « coalition pour commettre le crime parfait » et bien plus que les membres du mouvement « Comment tromper sa femme ? », deux réseaux sur lesquels j'étais tombé en consultant le darknet (l'un d'eux avait même un forum qui lui était consacré). J'enfouis mon visage dans mes mains et fermai les yeux : et dire que des gens comme ça savaient où je me trouvais ! Heureusement ils ne savaient pas qui j'étais ! Du moins, c'est ce que j'espérais... Quoi qu'il en soit ce n'était pas avec ça que j'allais réussir à dormir ! J'avais besoin de prendre l'air, un grand bol d'air ! Mais pour cela il fallait que je quitte l'enceinte du lycée en pleine nuit, chose qui n'était normalement pas autorisée. J'avais déjà fait des bêtises, dérangé des cours, fait des blagues douteuses (un surveillant avait malencontreusement glissé sur des billes), etc... mais je ne pouvais tout de même pas faire ça ! Enfin bon, comme on dit, il y a un début à tout et je venais quand même de consulter le darknet alors après ça, rien ne me faisait plus peur. Ma décision était prise.
Je me levai et quittai précipitamment la pièce avant de changer d'avis. Je me glissai furtivement, sans faire le moindre bruit, dans les couloirs humides, sombres et glacials de l'internat. Tout était silencieux à cette heure de la nuit. Si le noir ne me rassurait guère, le calme qui l'accompagnait m'enveloppait comme un manteau apaisant qui descendrait lentement sur moi pour me soustraire à la vue. J'arrivais enfin devant la grande porte, dernier obstacle entre moi et la liberté : aurais-je le courage de l'ouvrir ? Je tendis lentement la main vers la grosse clé rouillée (la suffisance sans limite du directeur le poussait à croire qu'aucun élève n'aurait le toupet de lui désobéir). Incapable de résister à son appel, je la fis tourner. Tandis que la clé jouait dans la serrure, j'entendis distinctement les trois verrous céder un par un. Je retenais ma respiration au moindre cliquetis, de peur qu'ils ne réveillent quelqu'un. Mais plus encore que le bruit de la clé et le grincement émis par la vieille porte de bois vermoulu lorsqu'elle s'ouvrit, ce furent les battements de mon cœur qui me firent craindre d'être découvert. Il tambourinait si fort dans ma poitrine qu'il me sembla que tout le monde pouvait l'entendre. Et ce n'est qu'une fois dehors, la porte refermée, que ma respiration se calma enfin. Je restai planté là, sur le perron, pendant quelques instants sans trop savoir quoi faire.
Le bruit de la pluie ruisselante sur les toits me tira de ma torpeur. Ça y est, j'étais libre ! J'étais pied nus, en pyjama sous la pluie, mais qu'importe : j'étais libre. Je levai la tête, laissant l'eau inonder mon visage et me laver de mes soucis. Je traversai la cour en courant et me glissai entre les barreaux de la grille d'entrée. Tremblant et frissonnant dans la nuit de novembre, j'allais m'asseoir sur le talus herbeux qui bordait la route. A la lueur d'un lampadaire, un clébard pouilleux farfouillait dans les poubelles à la recherche de nourriture. Adossé au mur d'enceinte du lycée, dans l'herbe humide et glacée, j'étais en paix. Il devait être environ trois heures du matin mais je m'en fichais. Je n'avais plus à penser à rien. Ni les cours, ni les moqueries, ni même le darknet ; rien ne pouvait plus m'atteindre. Tout à l'heure je regagnerais ma chambre et demain matin tout cela serait oublié, la vie reprendrait normalement son cours. Mais en attendant, je pouvais rester ici et profiter de ce moment loin de mes problèmes. J'ignore précisément combien de temps je restais assis là, mais une chose est sûre : j'aurais pu y rester encore longtemps si un étrange événement ne s'était pas produit.
Le regard perdu dans le vague, j'étais totalement immobile, lorsque le frottement de pas sur le bitume résonna dans la nuit. Je tendis l'oreille tandis que le claquement d'une portière de voiture que l'on ouvre puis que l'on referme brisait de nouveau le silence. Ils provenaient de la cour du lycée. Avait-on remarqué ma disparition ? Partait-on à ma recherche ? J'en doutais fort. Mais mon cœur se serra tout de même quand le vrombissement du moteur qui démarre s'éleva à son tour dans le noir. Le portail pivota sur ses gonds dans un grincement lugubre digne des pires films d'horreur. Sans réfléchir, je me jetai, au dernier moment, à plat ventre derrière un buisson. Je levai les yeux, juste à temps pour voir une Range Rover noire aux vitres teintées se couler silencieusement dans la nuit. Je n'avais pas pu voir le conducteur mais pas besoin d'être devin pour savoir que c'était le directeur : personne d'autre à l'école n'avait les moyens financiers de se payer un tel véhicule. Mais que faisait-il à cette heure de la nuit ? Où pouvait-il aller ? Aux aguets, je ne relâchai la pression que lorsque la voiture eut disparu au loin, engloutie par les ténèbres. Je n'allais pas attendre que le proviseur revienne et qu'il me trouve ici. Aussi, à peine fut-il parti que, remerciant ma bonne étoile, je regagnai les dortoirs. Au passage je jetai un rapide coup d'œil à l'horloge du hall : quatre heures trente. Il était largement temps que j'aille me coucher ! Je changeai mon pyjama trempé pour un autre, chaud et sec, et, à peine avais-je posé la tête sur l'oreiller, que je dormais déjà.
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GENIUS - Tome 1 : Trahisons
ParanormalMathis Menson, un jeune surdoué de treize ans méprisé par ses camarades de classe et délaissé par ses parents, s'ennuie à mourir dans le pensionnat pour enfants précoces où il vit depuis ses huit ans. Sa seule distraction : le piratage informatique...