10 - Tempête

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Je dévisageais l'immense portrait de Hiratsuka Haru avec une appréhension toute nouvelle : mon premier jour en cours "normaux" commençait. Pour la première fois depuis mon arrivée au Japon, j'allais être dans une classe à plein effectif, j'allais devoir être confrontée aux impressions des autres.

Je m'étais déjà faite une idée de ce qu'ils pensaient de moi : je passais les pauses avec Shin, Shion et Tsubasa. Une concentration d'autant de personnes aux cheveux gris et blancs en intriguait certains, d'autres nous enviaient, d'autres encore nous cracheraient dessus s'ils n'avaient pas si bonnes manières... Unori, lui, l'avait fait à plusieurs reprises. Je pensais qu'ils devaient être habitués à Tsubasa et Shion depuis le temps, cela faisait déjà un an que le frère était là, et la cadette n'avait qu'à expliquer sa couleur de cheveux à son arrivée en disant "Tsubasa est mon grand frère". Surtout que d'après ce que j'avais compris, Tsubasa était assez populaire parmi les premières années.

Moi, j'avais l'air maladive, effacée.

Qu'est-ce que j'allais pouvoir dire ? La vérité était que j'avais des gènes albinos couplés de gènes qui "adoucissaient" leur effet, ce qui m'évitait la plupart des grands problèmes oculaires et la photophobie extrême. Alors j'étais "presque albinos" ? "Moitié albinos" ? Je n'avais pas le vocabulaire scientifique nécessaire pour faire une présentation comme me l'avait fait Grand-Père quand j'étais petite.

Hiratsuka Haru me regardait toujours, je n'avais pas bougé d'un pouce.

Je prenais de plus en plus conscience d'à quel point je ressortais ici, dans un endroit où se teindre les cheveux était interdit — Unori se prenait régulièrement des colles parce qu'il s'était fait des reflets roux et refusait de les enlever — où l'immense majorité des élèves étaient asiatiques ou noirs, et où j'en dépassais  beaucoup d'une tête. J'avais l'impression d'être placée sur un podium, le spot pointé sur moi, et je regardais de tous côtés pour chercher un échappatoire. Sauf que le spot était en moi.

- Tu t'entraînes à faire la statue ? me demanda Shin, soudain, me faisant sursauter.

- Qu'est-ce qui te prend de faire ça ? la grondai-je, récupérant mon cœur après qu'il ait fui l'agresseur. Tu aurais pu me donner une crise cardiaque !

- Rhoo, arrête d'exagérer, c'est toi qui es toute tendue ! Si je ne faisais rien, on aurait passé la fin du deuxième trimestre et Noël, et tu serais encore figée ici ! Alors alors ? T'es dans quelle classe ?

Je jetai un œil au papier qu'on m'avait donné et que je gardais précieusement dans ma main crispée.

- La classe 2-B, lis-je, priant pour que Shin m'annonce qu'il y avait des gens que je connaissais dedans. 

- Ah... C'est la classe d'Unori.

Je sentis toute motivation drainer de mon corps d'un coup. Je me retrouvais avec la racaille de service...

- Personne d'autre ? l'interrogeai-je, le ton suppliant.

Shin se tut, l'air de réfléchir.

- Non, je ne crois pas.

Je manquai de tomber : c'était la pire situation possible ! Je préférais encore ne connaître personne ! Unori me haïssait, et le sentiment commençait à être réciproque. En plus, avec son mauvais caractère, c'était peu probable qu'il ait déjà un voisin, alors je pourrais me retrouver près de lui. Je secouai la tête pour chasser les pensées noires et les situations désagréables qui s'amassaient par centaines. Un bruit de clochettes me ramena à la réalité : Shin pouffait de rire.

- Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? aboyai-je dans ma confusion.

- Du calme ! C'est ma classe et celle de Tsubasa aussi ! éclata-t-elle, les clochettes dansant frénétiquement. Je ne t'ai jamais vue tirer une tête pareille ! C'était la terreur pure !

The Best Way to DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant