4 - Yamaneko Yoru

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- Bah alors ? Pourquoi tu fais cette tête ?

La voix clairement féminine émanait de la gueule rose du chat. J'étais restée figée, bouche bée, incapable de faire le moindre bruit. Mon esprit était en surchauffe, passant en revue tout ce que j'avais ingurgité dans les derniers jours qui aurait pu avoir des effets hallucinogènes. Je ne m'étais quasiment pas nourrie depuis l'annonce de la mort de Grand-Père, alors était-ce plutôt un problème de ce que je n'avais pas mangé au lieu d'un cas de champignon récréatif qui s'était glissé dans mon plat de nouilles ? Dans tous les cas, ce n'était pas normal.

Le chat se leva calmement, me permettant de voir qu'il avait deux queues qui brassaient l'air en tandem. Je paniquai : la situation me paraissait maintenant encore moins possible qu'il y avait quelques secondes. Un chat à deux queues, l'histoire que m'avait raconté Grand-Père !

- N-n-nekomata ! m'exclamai-je en reculant précipitamment.

Bam !

Je regrettai aussitôt cette action ; un éclair de douleur darda de mon crâne jusqu'à mes orteils sous la violence du choc contre l'arbre à chat géant. Je tremblais incontrôlablement, mue à la fois par la douleur et la peur : le nekomata, un des contes qui m'avait terrifiée lorsque j'étais petite. Le nekomata était un chat, semblable à tous les autres, à part le fait qu'il avait deux queues. Seulement, ce chat pouvait devenir féroce, et était connu comme étant capable de tuer puis dévorer les humains qui s'introduisaient sur son territoire sans sa permission. À en juger par le collier et l'arbre à chat, j'étais bien chez-lui... Ou plutôt chez-elle.

Les prunelles vertes s'approchèrent de moi par l'impact silencieux des coussinets sur le duvet, puis la gueule rose s'ouvrit de nouveau, l'air irritée :

- Alors c'est vrai ? Fubuki ne m'a même pas mentionnée lorsqu'il te parlait de son travail ?

- Pourquoi il me parlerait de toi ? C'est un professeur de lettres... répliquai-je avant de pouvoir m'en empêcher. 

J'avais l'impression que lui répondre confirmait dans une certaine mesure cette réalité impossible, chaque son me trahissait.

Je n'aurais vraiment pas dû lui parler... À mon commentaire elle lâcha un cri mi-miaulement mi-gloussement qui me semblait venir des tréfonds des enfers, puis s'esclaffa :

- Professeur de lettres ? Mon œil ! Fubuki t'a vraiment tout caché alors ? Jamais je n'aurais cru qu'il résisterait aussi longtemps avant de tout t'avouer ! À chaque fois qu'on a discuté, je sentais que la vérité le démangeait ! Voilà bien pourquoi tu as une mine si naïve !

Je voulus protester, mais je réussis à m'en garder. La folie n'allait pas plus me gagner, on ne me prendrait pas à bavarder avec un chat, surtout pas un chat qui se moquait de moi. Cependant, je devais avouer que le fait qu'elle évoque des discussions avec Grand-Père me troublait. La fauve ne semblait pas apprécier le silence, et remarquant que je refusais de faire la conversation, continua son monologue :

- Même s'il ne t'a pas parlé de moi, moi, j'en sais des choses sur toi. Tu croyais vraiment que toutes ses histoires de yōkai étaient simplement une passion ? Détrompe-toi ! C'était son métier ! Nous étions collègues, jusqu'à ce qu'il renonce au travail actif et prenne un rôle d'enseignant. Shin s'occupe bien de moi maintenant, évidemment, mais elle manque l'expérience de Fubuki...

- Shin ? l'étonnement eut raison de mon vœu de silence.

- Ah ! Tu connais Shin ! Bien, au moins quelqu'un de sensé t'a amené ici ! J'aurais horreur que ce soit Unori... J'avais cru que cette petite t'aurait un peu parlé de ton nouveau rôle, mais je sais qu'elle ne va pas bien en ce moment, pauvre chou. Elle a dû oublier. Tu veux que je t'explique ?

The Best Way to DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant