2 -L'enterrement

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- Grand-Père ! Grand-Père ! pleura la petite enfant de cinq ans aux cheveux blancs.

- Leïla, qu'est-ce qui t'arrive ? Pourquoi pleures-tu ? m'interpella le vieil homme, me tendant les bras.

- Je veux plus aller à l'école ! 

- Mais pourquoi donc ? Tu aimes apprendre avec moi, et ce devrait être aussi amusant d'apprendre avec Madame Chailloux.

- Ce n'est pas le problème ! Elle est gentille, Madame Chailloux ! C'est les autres ! Ils se moquent de moi ! Ils disent que je me vante ! Et que je suis une vampire ! Et moi, je suis pas une vampire ! Et quand je leur dis, ils rient ! 

Les larmes coulèrent plus fort tandis que je continuai mon récit des malheurs de la journée, des surnoms que j'avais reçu ce jour-là : "la vampire", "la vieille", "la vantarde"... Tout commençait par "v". Il m'écouta patiemment, hochant la tête, l'air de comprendre. Je terminai mon histoire en demandant :

- Pourquoi je suis différente d'eux ? Pourquoi je suis toute blanche quand ils ont plein de couleurs ?

Grand-Père sourit, se leva, et alla chercher le tableau blanc qu'il utilisait pour les cours. Il m'assit sur un coussin, se plaça devant le tableau et déclara :

- Écoute bien, je vais t'expliquer.

Je regardai le tableau, intriguée de ce qui allait y apparaître. Je ne pleurais plus.

***

Je ne pleurais pas. Je ne pouvais pleurer. Je lui avais promis de ne plus jamais pleurer pour quelque chose qui mériterait d'être accepté. En effet, je ne pouvais rien contre cette décision : les trois jours étaient passés, mes affaires et les siennes étaient toutes dans des boîtes dans des camions en route vers le bateau. Le canapé où des fois il s'endormait et je devais le réveiller pour qu'il aille se coucher, la table où nous mangions ensemble tous les matins, l'unique cerisier qu'il avait planté lorsque nous avions emménagé — et que j'avais mis en pot afin de le transporter avec moi au Japon — qu'on voyait par la fenêtre de la cuisine, le tapis devant la cheminée où nous prenions du chocolat chaud en hiver... Tout était parti. La maison était vide.

Moi aussi, j'étais vide.

Mais je ne pleurais pas.

Ma valise était prête. Nos affaires allaient mettre un certain temps à arriver alors j'avais avec moi un sac de couchage et des vêtements pour une semaine afin de durer les premiers jours. Je haïssais le fait de devoir me soucier de cette logistique après ce qui était arrivé. J'avais des choses plus importantes à faire... 

Je m'étais évanouie après l'annonce de la mort de Grand-Père, je m'étais réveillée à l'infirmerie, le pire endroit pour moi dans cet état. J'en étais sortie en courant une fois sur pied et je m'étais isolée dans les toilettes pour me calmer. Je n'avais pas la force pour faire face à des gens, la foule, autant de visages hostiles aux convoitises inconnues. J'étais incontrôlablement fragile ; pour la première fois depuis des années, j'avais l'impression que je ne pouvais pas continuer seule...

Sans lui, je ne suis rien.

Je me dirigeai vers la porte d'un pas lent, évitant par habitude les lattes qui crissaient. Pourquoi faisais-je cela ? Il n'y avait plus personne à réveiller, plus personne à gêner avec le bruit du vieux bois...

Je croisai un miroir dans le couloir, le miroir que Grand-Père n'avait pas réussi à installer droit, alors par frustration il avait versé le contenu de trois tubes de super-glue sur le mur avec un rouleau pour peindre et l'avait collé ; il n'était toujours pas droit. Je souris au souvenir de sa tête quand il avait constaté que son chef-d'œuvre était oblique. Mon reflet fit de même.

The Best Way to DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant