7 - Devoirs

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- T'as faux là, remarqua Yoru, penchant par dessus mon épaule.

- Comment ça, "j'ai faux là" ? J'y ai même pas encore répondu, grosse maligne ! rétorquai-je, amusée par ses tentatives futiles de me faire douter de moi.

- Et tu mettrais quelle réponse alors ? continua-t-elle, imperturbable.

Je lus avec difficulté la question : le questionnaire était écrit pour un japonais en terminale, et après avoir fait un test, j'avais le niveau d'un élève de sixième... Il allait falloir que j'y travaille. Je me reconcentrai :"Un shinigami n'a pas le droit de pénétrer dans la demeure de l'âme tant que le corps n'est pas encore décédé, vrai ou faux ?" disait la question.

- C'est faux, déduis-je.

- Ton raisonnement ? me pressa la nekomata.

- Le temps écrit dans le carnet, celui à partir de laquelle on doit être auprès de l'âme en lui expliquant ce qu'on va faire, est minimum dix minutes avant le décès prévu du corps. Que l'âme soit dans sa demeure ou pas, c'est évident qu'on ne va pas faire une exception à la règle.

- Bien, acquiesça Yoru, satisfaite.

Cela faisait une semaine que j'avais commencé les cours de shinigami. C'était une mise à niveau intensive afin que je puisse reprendre en parallèle les cours normaux dans un mois, alors de huit heures à dix-sept heures, j'étais en cours particulier avec M. Sonozaki. J'avais pour ordre de prendre des notes pendant les leçons, puis lire le chapitre correspondant dans le manuel — un gros amas de pages de la taille et à la masse d'une brique en béton — puis compléter sous la surveillance de Yoru des questionnaires écrits qui étaient notés le lendemain. C'était difficile, mais ça avait eu l'effet de très rapidement me permettre de normaliser la situation.

J'avais retrouvé un peu de banalité : mon quotidien redondant. Cela me rassurait.

- Et quelles sont les caractéristiques du carnet ?

- Les carnets contiennent une liste d'âmes à visiter, l'heure à laquelle la visite doit se dérouler, et la localisation actuelle de l'âme qui est mise à jour toutes les dix minutes. Les carnets étaient en papier sous forme de registres, mais sont maintenant sous forme numérique. Chaque shinigami a un carnet personnel organisé par le centre de direction. Le shinigami doit noter dans le carnet le temps de la fin de visite et son issue. Les shinigamis en période d'accompagnement pour apprentissage ont un carnet qui contient un marqueur spécial qui les interdit de visite en hôpitaux et autres lieux trop fréquentés, afin de minimaliser le risque au cas où ils perdraient le contrôle de leur invisibilité. Ils ont aussi une charge de travail beaucoup plus légère que les shinigami confirmés, récitai-je machinalement.

- Excellent. Question finale !

- Yoru, j'ai pas le temps, je mets déjà assez de temps à lire celles du questionnaire...

- Où as-tu mis ton carnet ? m'interrogea-t-elle, malicieuse.

Elle m'avait eue... Je jetai un œil désespéré à l'appartement encombré d'une cinquantaine de cartons de déménagement, trois canapés empilés, deux tables, un lit pliable, cinq lampes, et une pile de vêtements au pied duquel il y avait mon pauvre cartable. J'avais récupéré toutes mes affaires, j'avais eu une lettre de la banque comme quoi avec mes résultats scolaires l'État me payait ma scolarité et une portion de mes frais de vie, je commençais à connaître mes voisins, j'avais tout pour réussir à remettre ma vie en ordre... Sauf le temps. Agenouillée sur un coussin que j'avais sorti de la première boîte venue, je m'appuyais sur un cube marron pour faire mes devoirs. 

Je me levai et fouillai sous le tas de vêtements, me rappelant vaguement que j'avais mis mon carnet dans une poche de mon manteau la veille. À mon soulagement, il y était. On avait soi-disant modernisé le format des carnets, mais il restait que ce vieux flip-phone de la fin des années 1990 n'était pas un exemple de progrès technologique. En plus il était désactivé tant que je n'avais pas passé le premier examen pratique, qui était dans longtemps. On ne m'avait même pas encore laissée toucher à une faux, alors ça allait sans dire que je n'allais pas en utiliser une en conditions réelles dans les prochaines semaines. J'enfonçai le "carnet" peu cérémonieusement dans mon sac et retournai à ma place.

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