19- Folie

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Nous attendîmes à la table sans la moindre parole, j'eus tout le loisir de l'absorber dans mes pensées. Qu'allais-je bien pouvoir lui dire une fois réunis ? Ce lieu était fou, et je n'avais aucune idée de ce que pourrait être sa réaction, seulement qu'elle n'allait pas être bonne.

Entre le bruit et les railleries, des colonnes et des papillons de nuit s'entrejaillaient sur le sol en des motifs tigrés qui s'animaient au rythme de la flamme des lanternes. La faible lumière jaunie piquait moins les yeux que les rangées du dehors, et j'étais presque heureuse de ne pouvoir voir ce qui se passait dans la pénombre.

Enfin, la femme qui avait engagé Shin se leva, lui donna un baiser sur le front, lui passa 10 000 yens* puis partit. Je m'étais inconsciemment tassée dans le coin sombre près de la table, me faisant aussi petite que possible à tel point que je faisais presque partie du décor, mais à présent je me détachais du mur dans l'espoir qu'elle m'aperçoive. Unori avait d'autres idées.

- Reste dans ton coin tant qu'elle n'est pas installée à notre table, sinon elle ne viendra pas.

Non sans mépris, j'obéis et me fondus de nouveau dans l'ombre.

Il ne fallut que quelques secondes pour que Yumiko intercepte Shin et la pointe en direction d'Unori. Elle acquiesça, impassable, puis vint nous rejoindre.

À quelques pas de la table, elle me reconnut. Aussitôt immobilisée, son expression changea : elle était horrifiée. Elle me fixait avec ses yeux noirs comme si elle voyait quelque chose qu'elle savait être impossible. J'étais devenue un fantôme pour elle, une personne présente sous ses yeux mais qui pourtant ne pouvait être. Je lui rendis son regard fixe, et je constatai avec un malaise montant que l'horreur devenait colère, à tel point que lorsqu'elle parla enfin, elle retenait à peine le cri. Cependant, sa haine n'était pas contre moi.

- Unori, que diable fait-elle ici ?!

- Elle te cherchait. Elle prétend te comprendre maintenant, elle toquait à la porte de chez-toi à minuit passée, en plus elle refusait de partir avant d'avoir pu te parler. Tu devrais me remercier, je lui ai sauvé la mise.

- En l'amenant ici ?! Tu te fous de moi ?!

Shin ne parlait pas comme Shin... Pourtant elle ressemblait à Shin, marchait comme Shin, souriait comme Shin... Mais ce n'était pas elle. Celle-ci s'enrageait, celle-ci criait, celle-ci me faisait peur.

- Calme, elle est avec moi.

- Ah ! Ah bien sûr ! ironisa-t-elle. Ça me rassure énormément ! Tu viens d'emmener la shinigami la plus inexpérimentée et la plus naïve de la cité dans Ukyo, mais tout va bien parce que Ryō chef de gang va la protéger ?! T'es pas invincible !

- Écoute, c'est pas moi que tu devrais engueuler là, c'est l'autre vampire ! s'exaspéra Unori, se levant d'un coup, puis appela : Yumiko ! Ramène-moi Anya, je laisse les deux folles parler entre elles, je réglerai après.

Il partit en direction d'une arche au fond de la salle meublée d'un rideau et disparut derrière, me laissant avec Shin dans le silence relatif du bar d'hôtesses.

- Assieds-toi... dis-je enfin pour briser la tension.

Elle hésita, puis se posa en face de moi, comme un chat qui s'installe sur un coussin alors qu'il sait que le chien dort pas loin. À aucun moment elle ne me quitta des yeux, elle me surveillait, prête à déguerpir au moindre signe d'animosité. Je sentis le vide se creuser dans mon cœur : la voir aussi méfiante me détruisait. Enfin elle déclara froidement :

- Il a dit que tu avais compris. Tu es sûre ?

- Je pense... Et depuis que je suis ici je pense que je comprends mieux.

The Best Way to DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant