- Voici l'appartement, déclara Shin solennellement, toujours toute vêtue de noir.
Nous sortîmes du taxi pour émerger au milieu d'une grande place pavée moderne. Le coucher de soleil était obstrué de gratte-ciels miroitants aux murs blancs, quelques buissons au bord de la chaussée pour ajouter de la couleur, des personnes qui s'entre-croisaient dans la continuité hâtive de leurs vies pressées... Grand-Père vivait vraiment ici lorsqu'il retournait au Japon ? Longchamp me paraissait bien loin. Tout était propre, éblouissant, vivant, rapide... Le vent était créé par la vitesse des voitures qui passaient sur la route principale, rien à voir avec la douce brise parfumée aux pins qui chatouillait les narines lors des après-midi d'automne.
- C'est par ici, compléta Shin, me menant vers un haut bloc résidentiel. Nous sommes au boulevard de Kyoto, tu es dans le bâtiment quinze, comme ça tu pourras demander ton chemin si tu te perds. Tu es au sixième étage, le sixième du couloir numéro six.
- Le numéro six six six ? répétai-je. Grand-Père n'avait jamais été superstitieux, mais il adorait les légendes de tous genres. C'était drôle de voir jusqu'où il poussait cette adoration.
- Oui, il y avait moins de personnes qui voulaient cet appartement à cause du numéro, alors il a pu l'acheter moins cher apparement. La concierge attend ton arrivée, c'est elle qui garde les clés, et elle saura te guider si tu en as besoin.
- Tu ne viens pas avec moi ? m'étonnai-je, inquiète.
- Non, désolée, sourit-elle gênée. Il faut que j'aille préparer ton arrivée dans la classe. Je suis la présidente, c'est à moi de remplir tous les papiers et les faire parvenir aux professeurs. Il faut que j'y aille, mais je reviendrai demain pour te montrer le chemin du lycée.
Elle fit volte-face et s'éloigna. Je la regardai partir un moment, puis soudain je la rappelai :
- Shin ! Je ne connais pas ton nom de famille !
Elle me cria de l'autre côté du boulevard.
- Nikami !
Puis elle s'éclipsa dans la foule. Je fis de même et me dirigeai vers le bâtiment. Des portes automatiques et une vieille concierge m'accueillirent avec une nonchalance comparable. Je balbutiai des explications avec mon japonais simplifié, elle me tendit la clé et m'indiqua l'ascenseur du doigt.
L'ascenseur était long à venir et long à remonter, si bien que je me demandais si ce ne serait pas plus rapide de prendre l'escalier, même avec mes muscles atrophiés. La petite musique joyeuse commençait tout juste à m'irriter lorsque les portes s'ouvrirent sur le palier.
Il n'y avait personne.
Devrais-je être étonnée de ce fait ?
Il y avait une trentaine d'appartements étudiants par étage, cinq ou six par couloir, il devrait y avoir au moins une personne qui se baladait sur le palier... Il y avait moi.
Aussi silencieusement que possible, le plaçai pied après pied sur le sol poli. De la lumière entrait par une fenêtre au bout du couloir, et j'entendais tout juste le murmur lointain du tumulte de la rue. J'allai voir, mais je regrettai aussitôt : je n'avais jamais eu l'occasion de tester si j'avais le vertige puisque je n'étais jamais montée plus haut que trois étages. Au sixième étage, je me sentais légèrement mal à l'aise de voir le béton grouiller de petites fourmis en costume portant des valises. Je m'éloignai et cherchai une indication "vers le couloir six". À mon malheur, tout était en kanji, alors je ne pouvais lire que les chiffres...
Après de nombreux allers-retours, maudissant mon intérêt peu poussé pour les caractères japonais, je découvris que le couloir six était celui de l'ascenseur, et que l'appartement six était celui le plus éloigné de la fenêtre... Ils avaient mis l'appartement 666 dans un coin sombre, je commençais à croire qu'ils n'avaient jamais voulu vendre cet appartement.
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The Best Way to Die
ParanormalRéveil, repas, lycée... retour à la maison, repas, dormir. Une vie redondante, répétitive... Banale. Mine de rien, j'aimais cette banalité. Ouvrir la porte de chez-moi tous les soirs pour crier "Je suis rentrée". Grand-Père dans son canapé qui lisai...