The Best Way to Die

15 - Lucioles

Le silence pesait lourd.

Agenouillée en face de moi, séparées par la table basse, brûlaient les étoiles au fond des yeux noirs. Shin me fixait, attendait que je parle. Je l'avais bien appelée là pour ça.

J'étais habillée d'une robe noire, entourée d'une cape de voile. Au vent on dirait que de la brume sombre planait autour de moi, me donnant un aura macabre. Les couleurs mornes en contraste avec mon teint maladif et ma corpulence devenue plus fine ces derniers jours me transformaient en squelette vivant. C'était la tenue officielle de shinigami, et je remplissais bien le rôle.

Nous étions le 1er décembre 2016, il était 22h 32, très exactement une heure et vingt-deux minutes avant l'échéance de ma première visite. Je l'avais acceptée la veille. Pas le choix, si je voulais progresser. Le refuser revenait à me voir mise dans le même panier qu'Unori, et je n'étais pas mentalement préparée à l'affronter tous les jours en effectif réduit. 

Il fallait que j'affronte mes problèmes, sinon la panthère allait m'attraper de nouveau. Elle rôdait encore dans la maison, je l'apercevais parfois du coin de l'œil, et tant qu'elle serait là, je n'aurais pas l'esprit tranquille.

J'inspirai profondément.

- Shin, il faut que je te dise quelque chose...

Elle demeura immobile, délicatement perchée sur ses talons, attentive aux mouvements de mes lèvres. Je continuai.

- C'est quelque chose que je n'ai jamais dit à personne, et que je pense très honnêtement ne plus jamais oser avouer à qui que ce soit. Je ne veux pas que ce que je vais dire change ton image de moi, mais je pense qu'il serait impossible que tu me voies toujours de la même façon après cette conversation...

J'hésitai. Son regard devenait plus perçant, elle semblait retenir son souffle dans l'attente de la suite. Je pris une nouvelle bouffée d'air, marquai une pause, puis dans un flot de paroles incontrôlable, je déclarai piteusement :

- J'ai peur. Plus que ça, je suis terrifiée. Je sais que si je vais à la visite je vais m'effondrer, perdre mes moyens, fuir même. D'ailleurs la seule chose que j'ai envie de faire maintenant est de fuir, ou d'annuler la visite, laisser quelqu'un d'autre s'en occuper, ou tout à la fois. Depuis deux jours je fais des cauchemars à ce sujet, je dors pas, je ne mange pas... Je suis désolée Shin, je sais que depuis que nous avons calmé Yoru devant le lycée tu me penses être courageuse, mais c'est faux. Très faux. Je suis un exemple de couardise hors normes et je...

Comme une vieille machine à court de vapeur, ma voix ralentit, fondit jusqu'à se mêler aux fréquences du bourdonnement électrique de l'appartement, avant de s'effacer complètement. Shin avait l'air déçue. Elle avait baissé les yeux. J'avais l'impression que mon cœur coulait sous le poids de mes sentiments. Elle ne s'attendait sans doute pas à ce que je me révèle être si lâche...

- C'est pour ça que tu m'as appelée ? Tu t'inquiétais pour la visite ? chuchota-t-elle. Il fallait le dire plus tôt, M. Sonozaki t'aurait recommandé une autre date plus lointaine.

- Je sais... Mais je ne voulais pas... Je ne voulais pas avoir l'air faible. Pour une fois j'ai des amis, des amis, au pluriel, qui me voient comme autre chose que la vampire effacée... Je n'ai pas envie de décevoir leurs... Vos attentes. S'il me demande de le faire aujourd'hui, c'est qu'il me croit capable d'y arriver.

- C'est parce que tu es capable d'y arriver ! me répliqua-t-elle, comme si c'était une évidence. La seule personne qui ne le croit pas, c'est toi !

- Je n'ai jamais fait quelque chose d'aussi significatif sans quelqu'un à mes côtés pour me rassurer !

- Yoru sera là, fit-elle remarquer.