23 - La cité de Dis

17 6 4
                                    

La cloche qui marquait la fin des cours sonna, et le son des voix monta dans le couloir. Voilà quatre heures que j'étais restée seule enfermée dans ces toilettes. Ce n'était pas grave que je manque des cours, les raisons seraient évidentes pour le prof au premier coup d'œil, et avec un peu de chance Shin aurait l'intelligence de la fermer et ne pas me défendre. Je ne voulais pas qu'on l'implique aussi là-dedans, j'avais le sentiment que c'était seulement le début.

Les voix à l'extérieur devinrent plus forts, on passait près de la petite pièce aux carreaux partout. Soudain le bruit éclata le temps que la porte s'ouvre, et deux filles entrèrent en papotant. Je retins mon souffle et fis le moins de bruit possible.

- ... à ton avis ? dit la première, finissant une phrase que je n'avais pas entendue.

- Pourquoi tu me demandes ça ? J'ai pas envie de la voir, cette fille, encore moins d'aller dans les détails... répondit la seconde plus discrètement.

- Allez, tu sais bien qu'il lui faudrait des clients avec des goûts spécialisés. On dirait qu'elle ne mange jamais, y'a que de la peau sur ses os ! se moqua ouvertement la première. Qui voudrait passer sa nuit avec un squelette ?

- Est-ce qu'on pourrait arrêter de parler de ça s'il te plaît ? On ne sait pas ce qu'elle y faisait, mais elle a perdu son grand-père récemment, ses parents sont morts, elle n'a peut-être pas le choix. Et puis, la rumeur vient d'Unori apparemment, et tu sais bien que c'est pas une source fiable. Ça m'étonne carrément que tu veuilles croire un seul mot qui sorte de la bouche de ce type après ce qu'il t'a fait, riposta la seconde.

Sa voix était familière, mais je n'aurais pu dire d'où. Comme une mélodie reprise par un autre chanteur, c'était différent, avec un air de déjà-vu. En tout cas, j'étais heureuse d'apprendre qu'il y avait encore des personnes qui me défendaient, au moins un peu.

- C'est pas lui le sujet, c'est elle. T'as vu comment elle a réagi ! Comment est-ce qu'elle saurait que c'est lui qui l'a dit sans qu'elle sache aussi ce qu'il fait de ses nuits ?

- Peut-être parce que tout le monde sait qu'il est chef de gang, mais que lui, il échappe à ce genre de traitement parce que tout le monde a peur de lui ? C'est pas difficile de faire le lien. Tu sais qu'il ne peut jamais montrer de l'affection pour quelqu'un sans que ça les mette en danger ? Il a tellement d'ennemis dans les mauvais quartiers, ils veulent lui faire du mal mais ils savent que s'ils s'en prennent directement à lui, ils se feront tuer, alors ils cherchent tous quelqu'un à lui enlever.

- Comment tu en sais autant sur lui, toi ?

- Il a des cours du soir avec moi, des fois il parle.

- T'es sûre qu'il ne te drague pas ? C'est comme ça qu'il a essayé de m'avoir.

- C'est comme ça qu'il t'a eue... murmura la seconde, non sans une pointe de mépris.

Apparemment la première ne l'avait pas entendue, et salua son amie avant de partir. Discrètement, je devins invisible et j'entrouvris la porte pour voir qui parlait, et qui pourrait potentiellement m'aider si jamais j'avais besoin d'une alliée supplémentaire.

Des courts cheveux gris soignés en coupe au carré, une peau hâlée, un uniforme immaculé, je la reconnus enfin : c'était Shion. Décidément elle était beaucoup plus discrète avec nous qu'avec les gens de son âge.

Je commençai à repenser à ce qu'elle avait dit ; à présent que je savais qu'elle me connaissait bien mieux que je ne le croyais, j'étais un peu moins satisfaite de sa riposte, surtout de quelques commentaires comme "j'ai pas envie de la voir, cette fille" ou "elle n'a pas le choix". Elle ne pensait tout de même pas que les rumeurs étaient vraies... Si ? Et puis, elle en savait beaucoup plus sur Unori qu'elle n'en avait l'air... Je préférai la laisser sortir et faire comme si je n'avais rien entendu, puis je fis furtivement mon chemin vers le toit.

The Best Way to DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant