Ça y était. L'arche traditionnelle peinte d'une couche écailleuse de rouge s'élevait devant moi, et grandissait à chacun de mes pas. Le bois grognait à mon approche, caressé par son allié, le vent glacial de l'hiver. Hors les bavardages du feuillage, tout était bercé par le silence sombre, inondé par la lumière argentée du croissant de lune. Nous étions loin de la ville, et j'avais l'impression d'être retournée des siècles en arrière.
Soudain, mon cœur me donna un choc électrique. Je m'immobilisai : quelque chose au fond de moi m'envahissait et m'emplissait d'un malaise impossible à ignorer.
- Leïla, dépêche-toi, c'est l'heure ! m'encouragea Yoru, de sa voix la plus douce.
Je le savais, le choix n'était pas le mien. Le petit nekomata ouvrit la marche et pénétra sous le tori, l'immense porte qui marquait l'entrée du temple shintō. Je ne bougeai pas. Yoru avait l'habitude, avec sa fourrure tachetée, sa démarche gracieuse, elle ne laissait aucune empreinte dans la poussière du chemin. Elle était uniquement esprit ; je rendais visite à mes pairs.
Un bruit familier de clochettes tinta dans l'air calme. J'avais oublié que je les avais accrochées au bout de ma faux. Je m'étais mise à trembler, provoquant le réveil de la musique aiguë de la peur. Yoru marqua de nouveau une pause.
- Leïla... Il a besoin de toi, miaula-t-elle.
- Et j'ai besoin de lui... Je ne peux pas le faire seule... répondis-je, ma voix à peine audible, effacée en un instant par la brise nocturne.
- Il le faut. Tu as accepté la date, ton nom est dans le carnet, répliqua-t-elle catégoriquement. Alors reprends-toi. Mets un pied devant l'autre et viens. Fubuki n'a jamais eu de tels problèmes.
Je soupirai. Jamais je n'avais moins aimé Yoru que dans ce moment-là, et c'était parce qu'elle avait raison. J'avais accepté cette situation, à moi d'assumer. Un pied devant l'autre... Quel acte pétrifiant lorsqu'on en connait les enjeux ! L'autre pied devant le premier. Mes pas étaient lourds. Continue...
J'arrivai ainsi devant l'écran en papier, l'entrée de la maison traditionnelle enfouie dans la forêt japonaise. Yoru passa à travers. Je pris une bouffée d'air et je fis de même, frissonnant lorsque je sentis les croisillons de bois pénétrer mes entrailles, me découper puis me recomposer. Je sentais la nausée arriver. Yoru continuait, imperturbable, déjà dans la pièce d'à côté.
Je commençais à voir la faible lueur de l'âme que j'étais venue chercher. Son aura bleutée provoqua une vague renforcée de sueurs froides et les clochettes tintèrent de nouveau. J'enlevai mes chaussures à l'entrée. Je ne pris conscience que cet automatisme était inutile dans ces circonstances que lorsque je me retrouvai en chaussettes. Voilà que je commençais à oublier la procédure, et j'étais déjà en retard ! Précipitée par mon erreur, je fis irruption aux côtés de Yoru dans la chambre de l'âme.
Je l'entendis avant de le voir : ce râle résonnant comme une crécelle d'enfant, incessant, répété, on ne pouvait l'échapper. Peau plus blanche que le futon sur lequel il gisait, corps frêle aux os proéminents, scintillant à cause de la sueur qui l'embaumait peu à peu, ce vieil homme était bel et bien mourant. Cependant, il n'était pas encore mort.
- Yoru, qu'est-ce que je dois faire ? demandai-je, le tambour de mon cœur et le chant des clochettes se mêlaient à la respiration cliquetante de l'aïeul.
La lynx n'eut pas le temps de répondre, car le malade tourna la tête vers nous, souriant, puis nous fit signe de nous approcher d'une main fragile.
Je m'agenouillai à ses côtés, aussi peu sûr dans mes gestes que lui. Pourtant, ce n'était pas moi qui voyais ma fin. Il entrelaça nos doigts avec grande difficulté. Il m'adressait un regard paternel, un rayon chaleureux dans cette maison abandonnée. Il finissait ses jours seul, fiévreux, souffrant, et accueillait la mort comme un vieil ami.
Goutte à goutte, des larmes marquèrent les draps jaunis. Une... Deux... Trois... Au bout de cinq, je ne pus plus les distinguer individuellement, ma vision était brouillée.
L'ancien chuchota alors, trouvant enfin la force de faire vibrer la crécelle :
- Je suis ravi de vous voir, jeune Shinigami... Il n'y a plus trop longtemps à attendre. Je m'excuse de vous avoir dérangé.
---- Fin du Prologue ----
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The Best Way to Die
ParanormalRéveil, repas, lycée... retour à la maison, repas, dormir. Une vie redondante, répétitive... Banale. Mine de rien, j'aimais cette banalité. Ouvrir la porte de chez-moi tous les soirs pour crier "Je suis rentrée". Grand-Père dans son canapé qui lisai...