5 - Lycée Hiratsuka Haru

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- Je ne me sens pas très bien...

Yoru ne bougea pas : elle dormait à poings fermés, ma voix n'avait aucun effet. Je vacillai hors de ma chambre. J'avais à peine dormi. C'était déconcertant de dormir dans un endroit sans les odeurs familières, sans le bon vieux matelas qui grince quand on bouge, avec des bruits nouveaux et inconnus qui fusent de l'extérieur. Le lit semblait manquer d'une certaine chaleur, ce qui n'était pas dû au fait que j'avais mal allumé le chauffage, ce qui n'aidait pas la situation. En plus, Yoru avait oublié de spécifier que ses yeux brillaient dans le noir, alors lorsque je rouvris les miens un instant, frustrée après une heure à me tordre dans tous les sens, j'éveillai tout le palier avec un cri perçant en apercevant des émeraudes lumineuses qui me guettaient depuis le plus haut étage de l'arbre à chat mutant.

En me levant j'avais vu mon reflet dans le miroir : mes cernes avaient doublé de volume, donnant à mon visage des airs distinctement "crânesques", et mes yeux rougis paraissaient comme deux boules cramoisies par rapport à ma peau qui avait décidé qu'aujourd'hui elle allait être solidaire avec les murs des asiles psychiatriques dans lesquelles j'allais sans doute terminer. Je le savais, parce que la veille j'avais conclu que Yoru n'était pas un rêve, et j'avais décidé que j'allais l'accepter par souci de pratique et de conservation d'énergie, jusqu'au moment où on m'emmènerait de force voir un psychiatre.

J'allai vers le frigo dans le vain espoir d'y trouver quelque chose à manger. Rien, à part des conserves de nourriture pour chat, alors, dépitée, je flottai mollement dans la direction générale des toilettes - c'était le déplacement le plus précis que je pouvais faire vu mon niveau d'énergie -, espérant y trouver une douche. Heureusement, il y en avait une ; je n'étais pas préparée psychologiquement à gérer l'expérience d'une douche commune dès le matin. Je pris ma serviette dans ma valise, délaissai peu gracieusement mon pyjama et tirai le rideau en plastique.

Le soudain jet d'eau sur mon visage me réveilla d'un coup. Je recouvrai la vigueur dans mes mouvements en même temps que mon cerveau redémarra l'activité normale. Cette sensation d'eau tiède qui coulait sur ma peau était agréablement rassurante. Mais même l'eau était différente.

Elle était plus douce.

Je fermai les yeux et j'immergeai ma tête sous la cascade, des gouttes glissèrent le long de mes lèvres puis sur ma langue... Même le goût changeait. Grand-Père se plaignait toujours que l'eau française était "trop dure", maintenant je voyais ce qu'il voulait dire. J'avais beau régler la puissance de la douche, je ne pus répliquer la façon dont le liquide tombait à Longchamp. Je me fis une note mentale de rechercher pourquoi.

Il me fallait ce peu de banalité.

J'avais oublié le shampoing dans ma valise... Tant pis, mes cheveux feraient sans pour une journée. Je restai face au flot, laissant l'onde ruisseler comme une caresse de nymphe jusqu'à disparaître de nouveau hors de vue. Seule, écoutant le bruit des gouttes comme des battements qui rythmaient ma lente respiration, j'étais sereine pour la première fois depuis longtemps. Tout le chaos était de l'autre côté de la porte, m'entourait comme un monstre qui me guettait, s'entraînait dans une spirale de destruction, mais moi, j'étais en sécurité, propre. Tous mes problèmes fuyaient dans les canalisations. J'inspirai profondément : j'étais préparée à affronter le monstre.

Je me séchai rapidement et mis mon uniforme sous mon long manteau noir. Ils n'avaient qu'à fournir des doudounes de lycée s'ils n'étaient pas contents, il faisait bien trop froid pour ne sortir qu'avec ce qu'il y avait dans la boîte. Yoru dormait encore sur l'arbre à chat, je préférais ne pas la voir de mauvais poil au réveil...

Shin avait dit qu'elle viendrait me conduire jusqu'au lycée Hiratsuka, mais elle n'avait pas spécifié à quelle heure, ni à quelle distance le lycée se trouvait de chez-moi. Je n'avais encore transféré ni la wifi ni le réseau téléphonique à un serveur du Japon, alors mon portable m'était aussi utile qu'un fer à repasser pour trouver les informations que je cherchais. J'avais aussi besoin de me procurer un fer à repasser...

The Best Way to DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant