Des clopes dans le cendrier, les clips défilent à la télé depuis des heures, les assiettes sales sur la petite table. Karim est à moitié avachis à côté de moi, il fume sa clope, tout en me racontant son passage en prison. Je suis étonnée d'entendre Karim le gros baiseur savoir parler. Le mec qui n'a l'air de savoir discuter qu'avec les meufs que pour qu'elles baissent leurs culottes. Je l'ai jugé un peu vite sur certains points, sur d'autres je me suis pas trompée : c'est un mec de quartier typique, tout ce que je fuis comme la peste. Mais je l'écoute attentivement me parler de ses histoires de prison, de son co-détenu qui s'est flingué quelques mois après sa sortie. Il a l'air affecté. On en est venu à parler de ça quand je lui ai raconté que mon oncle était en prison depuis une dizaine d'années pour avoir flingué un mec. Je l'ai dit spontanément, sans une once de tristesse, comme si c'était un inconnu. J'étais pas vraiment affectée par l'incarcération de mon oncle, je n'ai que de vagues souvenirs avec lui. C'était plus pour ma mamma. Elle était très proche de Naldo. Lui, gros trafiquant de la région, veillait sur nous de loin, mécontent du mariage de ma mère avec mon père. Il avait toujours vu ce mariage d'un très mauvais oeil et il avait raison. Après son incarcération, mon père a compris que, désormais il avait les pleins pouvoirs sur ma mère. Mon petit vécu de banlieusard a fait sourire Karim, lui qui pensait que j'étais une riche héritière !On est resté tous les deux vagues sur nos vies personnelles, sur nos vécus. On savait que tous les deux nous avions un lourd passé. Ça s'entendait, ça se sentait. Mais trop méfiants et trop fiers pour se dévoiler on a parlé de trucs superficiels, de nos familles respectives.
Sa famille est arrivée du Maroc à l'âge de ses 5 ans. Il est le deuxième de la famille, son grand-frère Tarik est marié depuis déjà quelques années. J'ai compris qu'ils n'étaient pas vraiment proches. Après lui sa petite soeur Soumaya. Son père a quitté sa mère il y a quelques années pour se remarier au bled. Drôle de méthode qu'ont nos darons! Alors lui aussi il fait parti du groupe des pères abonnées aux absents.Nous étions trop bavards. Moi qui d'habitude suis plus du nombre des silencieuses, j'ai déblatéré pendant des heures sur ma vie. Je me reconnais pas moi-même. Ça ne me ressemble pas d'échanger avec un inconnu, dans son salon, vêtue avec ses vêtements. Et puis pendant qu'il parlait, j'ai eu un flash. Le visage de Bilel m'est apparu, mon souffle s'est coupé. Je suis en train de refaire les mêmes erreurs qu'avec lui, je suis en train de m'ouvrir à un mec, de le laisser entrer dans mon espace intime. Je le laisse terminer sa phrase et glisse un : j'dois y aller désolée.
J'ai enfilé mes sappes, ma veste et j'ai pris mon sac. Tout ça sous son regard perdu. Il était toujours dans la même position, en train de fumer sa clope devant les clips. Il m'a salué sans même tourner la tête. J'ai compris que je l'avais agacé, mais c'était le cadet de mes soucis, fallait que je fuis. Avant qu'il finisse par se rendre compte de la meuf que j'étais.
Je suis rentrée chez Ghita, elle dormait dans sa chambre, il était presque 18heures, ça sentait le cadavre, sa mère devait surement travailler. J'ai cherché des sappes dans ses vêtements pour couvrir mes jambes.
- Hummmm... Luisa putain éteins la lumière !
- Faut que tu te lèves ta mère va pas tarder à rentrer
- Il est quel heure ?
- 18h !
- Wouaw, sa mère, j'ai comaté !
Elle s'est assise sur son lit, en sous-vêtements, les cheveux en pétards, son maquillage de la veille coulait sous ses yeux :
- T'étais où toi connasse ? T'as disparu en plein milieu de la soirée Kader m'a dit qu'il t'avait vu partir avec un keum ?
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La rose fane mais pas ses épines
RomanceLuisa est une jeune fille de cité désorientée. Consumée par la vie, par la gente masculine, par le manque d'argent et par la précarité. Elle tente de s'en sortir et de combattre ses vieux démons. Mais est-il possible de combattre les démons qui nous...