Chapitre 21

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Je me mêle à la foule, disparaissant sous cette marée humaine. Je serre les dents et tente d'apercevoir quelque chose. Mon corps est happé pas par pas, poussé au hasard par toute cette masse. J'étouffe. J'ai l'impression d'être comme un poisson hors de l'eau, sans compter le bruit environnant. Les gens crient et murmurent tous en même temps. Mes oreilles bourdonnent. 

J'entends deux hommes parler dans mon dos. Je pense que vu leurs tailles, ils doivent apercevoir la scène. J'essaye de ralentir et de tendre l'oreille tant bien que mal. J'apprend ce qui se passe grâce à leur échange. Un bannissement, encore. C'est ce que je craignais. 

Je crispe la mâchoire et les poings à m'en faire blanchir les jointures. Bordel. Mon sang ne fait qu'un tour, tandis que l'instinct prend le dessus sur la raison. 

Je me baisse et décide de ne plus me laisser ballotter par la foule. Je glisse entre les jambes, jouant des coudes et me faufilant tant bien que mal pour m'approcher le plus prêt possible. Je ne sais ce que je pourrais être capable de faire si j'atteins l'altercation. Mais une chose est sûre, je vais tout faire pour y arriver. 

Je me débats et les gens qui tentent de m'empêcher de passer sont vite découragés par mon regard noir.  Bientôt, je perce la foule, me retrouvant au premier rang, face au spectacle. Mes yeux s'agrandissent d'horreur.

Une jeune femme se débat, hurlant, les yeux remplis de larmes. Je me fige. Elle n'a pas été choisie, j'en suis sûre. Une dizaine de soldats royaux sont présents, tentant de maîtriser la pauvre damnée.  Elle se déchaine, son instinct a pris le dessus. Elle n'est plus elle-même. Elle se bat de toutes ses forces, elle se bat pour sa vie. 

Mes jambes se mettent à trembler, je n'arrive pas à me contenir face à ce spectacle. Mais si j'interviens, je finirais de l'autre côté des murs tout comme elle. 

Soudain, un détail attire mon attention. 

Je me glace de plus belle, comme si mon corps n'était déjà pas assez secoué par l'effroi. Cette couleur fauve, je la reconnaitrais entre mille. L'éclat de ces cheveux roux à peine dissimulés sous le chapeau de la milice. 

Il est de dos. Cette carrure si familière est moulée dans les habits des soldats royaux. 

Jonas.

C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Je frôle le premier rang, contournant la foule. Toute pensée a disparu, les conséquences ne planent plus au dessus de mon esprit comme une épée de Damoclès. Mon cerveau s'est déconnecté, laissant place à de la haine à l'état pur. 

Il ne m'a pas vu, se contentant de rester en retrait et d'apporter de l'aide aux autres. Je m'approche, légèrement accroupie, silencieuse comme un loup qui s'apprête à se jeter sur sa proie tous crocs dehors.

Je suis juste derrière lui. C'est le moment fatidique. Une fois que j'aurais fait un pas en avant, ma vie ne vaudra plus grand chose. 

Mon pied s'est posé tout seul, comme une évidence. Comme si ce choix avait toujours été fait. Je prends mon appel et saute sur son dos pour l'entrainer dans ma chute en poussant un cri bestial. Nos deux corps heurtent le sol avec violence. La foule se tait un instant, surprise par mon acte suicidaire. 

Nous roulons chacun d'un côté, tandis que les gens s'écartent pour nous laisser de la place. Les autres soldats ne font pas trop attention à nous, essayant de gérer la pauvre paria de leur côté. 

Nous nous redressons et ses yeux s'agrandissent d'étonnement quand il me découvre.  Son expression est horrifiée, car il jauge la gravité de mon acte. 

"- Eraun, murmure-t-il complétement perdu. 

- Comment as-tu pu ? Hurlé-je. Comment peux-tu être l'un de ces bureaux Jonas." 

Son visage se referme. Il se lève, tandis que je garde ma position accroupie, sur la défensive. 

"- Je ne fais que suivre les ordres. 

- Les ordres ? Alors maintenant tu n'es plus qu'un pantin ? tu ne vaut pas mieux qu'eux !!"

Je me jette sur lui. Je sais que c'est le combat de notre amitié. La rage qui boue en moi crie vengeance. 

Aucune trace de pité. Advienne que pourra. 

Je dégaine mes deux dagues et il ne tarde pas à sortir sa rapière pour contrer mes attaques. Nos batailles n'étaient que des jeux autrefois, les temps ont changé. 

Il me regarde horrifié et lis dans mes yeux que je ne reviendrai plus en arrière. Il dit des mots pour que je fasse demi-tour, mais je n'écoute plus. 

Le métal de nos lames s'affrontent tandis que nos cœurs se déchirent.

J'enchaine les frappes, de plus en plus vite, un jeux d'échanges mortels s'installant entre nous. Je sens qu'il ne veut pas me blesser et profite de cet avantage pour l'atteindre successivement à l'épaule et à la cuisse. Mon souffle est puissant, ses yeux sont remplis de larmes et les miens de haine. Nous souffrons chacun à notre façon, mais cette fois, nous sommes l'un contre l'autre. Notre combat devient sanglant, nos corps fatiguent et la population présente ne nous lâche pas des yeux. 

Je prends vite l'avantage. Même si Jonas suit l'exercice de la milice, mon obsession pour l'entraînement ces temps-ci me permet de prendre le dessus pendant notre affrontement. 

Je le frappe sous les genoux et il perd l'équilibre pour s'écraser sur le dos. Je vois son visage se crisper sous la douleur. Je n'en tiens pas compte et me jette sur lui. 

Mes cuisses bloquent son corps, tandis qu'une de mes dagues se fige sous sa gorge. Mon expression est dure, sans appel. Il déglutit.

"- Comment as-tu pu devenir l'un d'eux Jonas ? 

- Eraun ce n'est pas ce que tu penses...

- Un bannissement. Comment peux-tu participer à ça ? Cette fille va mourir seule dans ces bois humides et tu n'y seras pas pour rien !

- Eraun tu n'aurais pas dû te mêler de ça, ta vie va être en danger va-t-en tout de suite !

- Jamais, annoncé-je sûre de moi, il est trop tard."

Alors que je dis ces mots, ma lame toujours sous sa gorge, Un bruit fracassant retentit. Tous les sons de lutte ont cessé autour de nous et je comprends que les grandes portes de la ville viennent de se refermer. Il est trop tard pour elle. 

Je regarde Jonas avec des yeux emplis de déception et de tristesse. Tous les hommes de la milice se tournent vers nous. À cet instant, je comprends que ma vie est en danger. 

Âmes TranchantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant