chapitre 8

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Jonas est toujours assis sur le petit rebord, veillant sur moi. Je regarde mon plafond, tout en discutant simplement de banalités avec mon ami. Le fait d'être couchée me fait énormément de bien, mais la douleur dans mon dos est toujours présente. J'ai peur de mettre du temps à soigner de ces blessures. 

Bien que je les mérite, si je n'avais pas fuis encore et encore, je n'en serais pas là... On paye toujours le prix de ses erreurs. Surtout à Arya. 

Le bruit fracassant des sabots martelant le sol pavé, me sort de mes pensées. J'abandonne mon observation du plafond pour abaisser mes yeux sur Jonas. Celui-ci regarde par la fenêtre avec des yeux émerveillés. 

"- La milice ? Deviné-je."

Il sursaute, comprenant que j'ai surpris son regard. 

"- Oui, un groupe entier qui se rend dans la partie haute. Un jour, moi aussi je serais comme eux."

Je soupire devant l'obstination du jeune homme, pourquoi défendre un idée telle que celle-ci ? Pourquoi vouloir rejoindre les hommes de la milice ? 

À mes yeux ce sont des soldats sans cœur, juste bon à obéir aux ordres de la royauté. En somme, le genre de personne contre qui je me dresse. Une peur sourde m'envahit soudainement quand une pensée lugubre traverse mon esprit. Qu'adviendra-t-il de notre précieuse amitié une fois que Jonas aura rejoint les rangs de la milice ? 

Un frisson parcourt mon corps, et n'ayant pas répondu à sa précédente phrase, Jonas finit par trouver mon comportement étrange. 

"- À quoi penses-tu ? Demande-t-il doucement en se levant du rebord, sur lequel il était assis depuis un bon moment. 

- Je peux tout de demander ?"

Il se rapproche de moi, s'asseyant sur mon lit au niveau de mes jambes. 

"- Évidemment. Dit-il sans aucune hésitation. "

Je le fixe pendant quelques instants. Quelques mèches de sa chevelure rousse retombent négligemment sur son front, tandis que ces épaules abaissées montrent qu'il est tout à fait décontracté.

"- Que deviendra notre amitié une fois que tu seras dans la milice ? Demandé-je de but en blanc."

Il semble surpris par ma question mais ne le montre pas, se contentant d'hausser les épaules dans un geste bien humain. 

"- Et bien elle restera tel quel, puisque de toute façon tu devras toi aussi rejoindre la milice, répond-il simplement.

- ça, jamais ! Contré-je avec hargne, ne pouvant bouger à cause de mes blessures. "

Il me fixe avec des yeux tristes. Je sais que son souhait est que nous avancions côte à côte jusqu'à la fin, et il aimerait plus que tout que nous ayons le même rêve. Mais je ne peux m'y résoudre. 

"- Alors que feras-tu bon sang ? Tu deviendras artisane ? Toi ? Me défie-t-il pour me faire entendre raison."

Je reste muette, car il parait évident que je préfère cette triste vie de labeur plutôt que de me ranger du côté de la milice. Voyant que je me renferme, Jonas continue sur sa lancée, tentant une nouvelle fois de me persuader. 

"- Tu es faite pour combattre Eraun, tu ne peux le nier, et Arya ne laissera jamais passer une arme comme toi, ton destin est de-

- Stop."

Il ouvre grand les yeux, étonné que je lui coupe la parole si sèchement. Je ferme les paupières, gardant une expression faciale dure.

"- J'ai dit, jamais. Arya ne pourra m'obliger à me ranger dans la milice. Ni Arya, ni personne."

J'ouvre les yeux, braquant mon regard glacial dans le sien. 

"- Pas même toi, ajouté-je. Je m'opposerai toujours à la milice et n'en ferai jamais partie. Ces gens sont des armes sans vie sous les ordres de la cité, ils sont prêts aux pires actes sans aucune culpabilité. Je me dresserai contre chaque homme de la milice, et ce jusqu'à la fin. Alors je le répète une nouvelle fois. Que deviendra notre amitié une fois que tu seras dans la milice ? Terminé-je.

- Je... Je ne sais pas. Dit-il complétement décontenancé par mon discours.

- J'ai besoin d'être seule. Ajouté-je simplement, comme un désir muet qu'il s'en aille."

Il s'apprête à protester, mais mon regard sans appel l'en dissuade instantanément. Il se lève dans un silence de mort, s'arrêtant en face de moi.

Il m'adresse un salut muet et embrasse mon front avec légèreté, avant de disparaître. Je me retrouve seule dans ma chambre torturée par les questions habituelles qui hantent ma vie. 

***

(point de vue de Jonas)

"-J'ai besoin d'être seule. Me dit doucement Eraun avec un regard triste mais résigné."

Je m'apprête à contester, voulant rester au près d'elle encore un moment. Malheureusement, ses yeux durs me font bien comprendre que je n'ai pas le choix. Je me lève, un silence de mort tombant soudain sur la petite chambre. Je me tourne vers elle, debout face au lit, j'hésite à ajouter quelque chose. 

J'aimerais lui dire pardon, j'aimerais lui dire que notre amitié restera toujours la même, et que plus que tout je serai toujours là pour veiller sur elle... J'aimerais lui dire tant de chose, les mots se bousculant aux bords de mes lèvres. 

Pourtant je ne dis rien, restant muet. Eraun me regarde, le visage vide de toute expression. 

Je me penche vers elle, embrassant  son front chaud comme un 'au revoir' muet. Je lui adresse un dernier regard, elle a recommencé a fixer le plafond avec un visage triste. Je disparais, le cœur lourd. 

Je descends les escaliers avec un pas tranquille, la tête ailleurs, me remémorant notre dernière discussion. Quand j'arrive devant la porte d'entrée, celle-ci s'ouvre avant que je n'ai eu le temps de faire le moindre geste. La mère d'Eraun apparaît devant moi les bras chargés de sacs remplis. 

Je l'aide, oubliant de quitter la petite maison. Elle me questionne sur la santé de sa fille et je la rassure, lui disant qu'elle se repose en ce moment même.

Nous sommes dans la petite cuisine, je la fixe entrain de déballer toutes les affaires sur la table en bois depuis l'encadrement de la porte. Elle relève le visage et un simple sourire apparait sur ses lèvres. 

"- C'est drôle, quand Eraun me parle, elle se tient toujours à l'endroit où tu te trouves."

Je souris. 

"- Et toi, comment vas-tu ? Me demande-t-elle soudain, me prenant au dépourvu.

- Bien, j'imagine, répondis-je évasivement. 

- Jonas, Me reprend-elle comme lisant en moi."

Je soupire, ne sachant pas vraiment quoi répondre. Elle délaisse sa tâche pour s'approcher de moi, posant sa petite main réconfortante sur mon épaule avec un regard maternel. 

"- Tu as toujours été là pour ma fille et je t'en remercie. Je sens que tu es tourmenté, mais tu es quelqu'un de bien, fais ce que tu penses bon. Dit-elle simplement

- Merci, répondis-je avec un mince sourire."

Après ce court échange, je la salue et quitte la petite maison pour partir errer dans les rues, et peut-être rentrer chez moi, à l'occasion. 

Âmes TranchantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant