Chapitre 56

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Ronan nous invite à monter dans une sorte de petite cage en bois renforcée de cordes, avant de nous faire descendre avec la manivelle. Louis, accroché à ma jambe, semble aussi fasciné que moi par le spectacle.
Rémus m'adresse un sourire serein et répond à ma question implicite.

"- Louis non plus ne va que très peu sur la terre ferme. Les enfants et les femmes n'y descendent presque pas, seulement ceux qui travaillent dans les champs. Alors, c'est aussi un peu une découverte pour lui.

- Vous arrivez à entretenir des champs ?

- Il faut bien se nourrir ! Mais peu de choses poussent sur le sol de la forêt car les arbres sont étouffants. De plus, on ne peut pas trop déboiser, car ils nous protègent.

- Je vois.

- D'ailleurs avec les températures rudes de l'hiver on ne peut plus rien cultiver. Et celui-ci approche à grand pas, dans deux mois, il recouvrira notre village. Dit-il avec un air résigné.

- Mais comment faites-vous pour survivre ? Les Hivers sont particulièrement difficiles sur ce pays, soupiré-je.

- Une troupe de chasseurs est envoyée pendant une longue expédition plus en profondeur dans la forêt pour ramener de quoi tenir tout l'hiver.

- Ces expéditions sont dangereuses ? M'inquiétè-je.

- Oui car nos hommes partent trop loin pour revenir au camp chaque soir. Mais nous ne pouvons tenir sans. Chaque année, c'est Wolfgang qui dirige la chasse."

Wolfgang ? Tous les ans ? Il a donc de lourdes responsabilités dans le village. Le fait que Rémus l'ai choisi comme gendre ne m'étonne donc pas.

Je n'ai pas le temps de poser plus de questions car l'ascenseur de fortune touche le sol et un nouveau paysage inconnu s'offre à moi.

Le village d'en bas n'a rien à voir avec celui d'en haut. Le côté doux et protecteur des maisons en bois, cachées par les feuilles, laisse place à une architecture dure et sombre. Les quelques structures en pierre qui survivent ici sont protégées par des charpentes abruptes en pierre noire. Devant mes yeux, tout a été pensé pour lutter contre le danger.

Les quelques fenêtres sont recouvertes de barreaux en métal et les champs par de hauts fils barbelés, un vrai camp de guerre à l'affût.

"- Aux bordures, vers là-bas, énonce-t-il en pointant son bras devant lui, sont réunis nos quelques champs. Les gens qui y cultivent sont les plus courageux, car ce sont ceux qui travaillent le plus loin du village. Mais ils ne peuvent pas y rester beaucoup d'heures par jour. Ils doivent être sûr de rentrer avant la tombée du jour. "

J'hoche la tête et commence à suivre le chef qui me présente les différentes structures dans une balade tranquille.

Il s'arrête bientôt devant une imposante bâtisse en pierre, qui semble s'être assombrit avec le temps au contact d'une fumée noire.
Toute déformée, elle garde une allure guerrière avec ses nombreuses cheminées abruptes qui recrachent du charbon.

"- Voici notre atelier, la plupart de nos artisans travaillent ici. Ébénistes, tanneurs de cuir, forgerons... Une vraie fourmilière. "

Il pousse la grande porte en métal et pénètre dans l'antre chaud et sombre de l'atelier géant.

Notre arrivée est accueillie par le rythme des coups de masse, l'odeur du métal fondu et l'air lourd et suffoquant des fours.

Je m'arrête un instant, figée par cette ambiance étouffante. Je ne ressens pas du dégoût, mais bien une profonde nostalgie.
Je suis les coups répétitifs des bras des forgerons avec un regard triste.
Cette odeur de vieux bois et de charbon me rappelle le petit atelier de mon père.

Un homme petit et plutôt fin avec des cheveux rasés de près, vient nous accueillir en s'essuyant les mains sur son tablier.

"- Bienvenue à l'atelier jeunes gens !

- Ravis de te voir mon ami, salue Remus en lui serrant l'épaule. Éraun, je te présente Arthéus. C'est lui qui guide tout le monde à l'atelier, mais c'est aussi notre meilleur forgeron.

- On ne dirait pas que je peux soulever tout ce métal avec ces bras tout maigres n'est-ce pas ? Ironise le patron en captant mon air surpris. "

Pendant que nous discutons au centre de la pièce bruyante et encombrée, Louis se cache derrière moi, intimidée par l'endroit. Je le prends dans mes bras pendant que les deux hommes commencent à aborder des sujets sérieux concernant le village.

J'en profite pour observer ce lieu, comme si je retrouvais la chaleur rassurante d'un endroit connu. Ici toutes les sensations me paraissent familières. J'aimerai tant voir mon père sortir d'un couloir avec un vieux torchon dans ses mains noires.

Je soupire en me rappelant une de nos conversations avec Jonas, sa voix résonnant comme un souvenir lointain dans mon esprit.

S'il pensait que ma destinée était de rejoindre la milice et que je ne pourrai jamais devenir un artisan, il se trompait.

"- Excusez-moi, coupé-je soudain pour attirer l'attention d'Arthéus.

- Oui ?

- J'aimerai devenir votre apprenti s'il vous plait. Je veux devenir forgeron pour aider le village."

Âmes TranchantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant