Chapitre 19

156 27 7
                                    

Point de vue de Jonas.

J'ai découvert le repère de la milice avec émerveillement. Bien que mon enthousiasme était au plus haut, je brûlais de rejoindre mes proches pour leur annoncer la nouvelle et profiter d'eux avant de m'en écarter. 

Lorsque cet homme m'a enfin libéré pour pouvoir les retrouver, j'ai remonté les rues à une allure folle. Nous étions en fin d'après-midi, quand j'ai passé la porte de chez moi pour me jeter dans les bras de mes parents. Ils implosaient de joie en me voyant, car nos géniteurs ne peuvent assister à l'audience, ils sont donc rongés par le stress jusqu'à notre retour. Ce que je conçois. Je n'ai pas cessé de les rassurer et ma joie n'a fait que grandir en voyant leurs yeux briller de fierté.

Me voila là maintenant, venant tout juste de me séparer de mes parents. Maintenant qu'ils sont au courant, je dois voir Eraun. Plus que tout. 

Je claque la porte derrière moi et prends instinctivement le chemin qui mène à sa demeure. En arrivant chez elle, je trouve sa mère dans la cuisine, comme à son habitude. Elle sourit à ma vue et m'offre un accueil chaleureux. 

"- Bonjour, répondis-je avec politesse à son accueil, Eraun est ici ?"

Elle m'adresse un regard désolé, qui me fait vite comprendre qu'Eraun est encore parti rêvasser ailleurs. 

"- Malheureusement elle n'est plus ici, s'excuse sa mère, elle est revenue ce midi mais n'a pas tardé à repartir quelques heures plus tard, elle voulait être un peu seule pour penser, d'après ce qu'elle m'a dit. 

- Merci, je vais essayer de la trouver, j'ai peut-être une idée d'où elle est. 

- ça ne m'étonne pas, tu la connais mieux que moi après tout. Remarque-t-elle en haussant les épaule avec un sourire léger.

Je me contente de sourire en réponse, avant de la saluer. Je quitte les lieux avec une idée en tête. Si Eraun cherche de la solitude et un havre de paix pour penser, cela ne fait aucun doute qu'elle s'est rendue au cimetière. 

La nuit tombe sur Arya alors que j'en arpente les rues.

J'arrive bientôt devant les grilles de métal qui entoure l'endroit sacré et ne tarde pas à passer agilement par-dessus. La calme du lieu m'entoure soudain, m'obligeant à me détendre et à ralentir mon pas pressé. Comme à l'habituée, il n'y a personne, juste des tombes qui dorment depuis des années sous le halos doux des lanternes. 

Je distingue un corps sur l'herbe au cœur du cimetière, devant la sépulture du roi Rhodrian. Eraun.
Plus je me rapproche, plus je peux distinguer les détails de son corps et ses expressions. Elle est assise en tailleur, le regard fixant le lointain, par-delà les murs. installée dos à la tombe, sa tête se balance avec douceur, en symbiose avec les arbres bercés par le vent. 

Je me fais le plus discret possible et hésite à m'avancer plus. Comme toujours, elle dégage sans s'en rendre compte une aura de puissance qui empêche les gens de s'approcher.  Ses mains se baladent contre le sol, les brins d'herbe venant jouer dans ses paumes.  

Je finis par briser le silence, restant immobile, debout. 

"- Salut Eraun."

Elle se retourne, surprise. 

"- Salut toi, répond-elle finalement avec une voix douce."

Elle hésite à se lever, mais je la rassure d'un simple mouvement de main, tout en me rapprochant. 

"- Tout s'est bien passé ? demande-t-elle. 

- Je ne suis pas banni, je suis même pris dans la milice. 

- Tu es heureux ? 

- Oui.

- Alors je le suis aussi pour toi, conclue-t-elle avec un discret sourire

- Mais pourtant quelque chose me préoccupe. Ajoutais-je.

- Quoi donc ? 

- Toi. J'ai peur pour nous, pour notre amitié. Je vais partir vivre dans le quartier générale, nous ne nous verrons plus beaucoup... Sauf si.."

Je m'arrête de parler pendant un instant pour l'observer. Son expression est neutre, calme. Elle reste silencieuse, attendant que je continue. Je sais qu'elle devine très bien la fin de la phrase. 

"- Viens avec moi. Supplié-je simplement. "

Elle me sourit avec une regard triste. Je la connais par cœur, elle, et chacune de ses expressions. Je lie en elle, sachant comment elle va réagir. 

"- pourquoi insistes-tu Jonas ? Tu connais déjà mon avis. 

- Parce que j'ai envie de m'accrocher, je veux que tu sois à mes côtés, encore. 

- Nous arrivons à un moment compliqué de nos vies n'est-ce pas ? Souffle-t-elle à voix basse, presque pour elle-même."

Je la regarde et je comprends que la laisser va surement être le plus dur. Je ferme les yeux un instant pour reprendre mes esprits, avant de recommencer à parler. 

"- Eraun, tout comme toi, je connais la misère. Les soldats de la milices obéissent aveuglement à des ordres qui ne sont pas toujours bon et sains. Mais cet ordre peut m'offrir une vie meilleure et plus aisée, tout comme à toi. Nous aimons nous battre, tu ne peux le nier. Nous pourrions être de vrais frères d'armes et avoir une vie trépidante. Je veux me battre, je ne veux pas m'endormir dans une vie pauvre et redondante. Je vois mon père partir tous les jours avant l'aube pour travailler dans les champs, le regard vide et les épaules basses. Je ne finirai pas comme lui, j'aspire à une vie d'aventure. Cultiver la terre toute ma vie, je ne le ferai pas."

Elle me regarde en retour, ne sachant quoi ajouter. Elle passe une main fatiguée sur ses yeux, cherchant du réconfort. 

"- Tu le sais Jonas, notre amitié arrive à un tournant. Nous verrons ce qui adviendra une fois mon éveil passé. Laisse moi seule s'il te plait, je dois réfléchir. Finit-elle, son visage se vidant de toute expression."

Elle refuse d'argumenter car je connais déjà son point de vue. Je tente toujours, rencontrant un mur inébranlable devant moi. Je me lève, lui jetant un regard avant de faire demi-tour. Je m'éloigne d'un pas calme, ma voix flottant sur le lieux apaisant du cimetière. 

"- à bientôt Eraun."

Âmes TranchantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant