Chapitre 52

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Galahdrielle soupire, avant d'enfourner une portion de légume dans sa bouche.

"- Je ne le comprends pas, dit-elle à moitié entrain de mâcher, il sauve quelqu'un et après il n'en a plus rien à faire !

- Il n'est peut-être pas très sociable, dis-je doucement.

- Ah ça, c'est claire ! Confirme-t-elle en pouffant de rire."

Je m'attaque à mon assiette, en attendant que la fille du chef reprenne la parole. Du coin de l'oeil, je jette un regard accusateur à Louis sur mes genoux, qui n'a pas l'air franchement en accord avec le concept des légumes.

Elle lève une main pour commander un pichet d'eau, avant de recommencer à parler.

"- De toute manière, il sera bien obligé de te rencontrer un jour ou l'autre, le village n'est pas très grand. Je ne suis même pas sûr que ce soit vis à vis de toi, dès qu'il y a des évènements importants ou des responsabilités à prendre, il fait tout pour disparaître.

- Tu as l'air de bien le connaître. Remarqué-je.

- En effet ! Cela doit bien faire huit ans qu'il vit avec nous. "

Bien que Galahdrielle essaye d'en parler avec un certain détachement, je sens qu'elle est très attachée à lui. Elle semble l'aduler, malgré son caractère froid.

Je me demande si c'est réciproque au fond ?

"- Vous vous entendez bien ? Demandé-je un peu septique.

- Oui très bien ! Enfin, autant que c'est possible avec lui, avoue-t-elle avec un sourire un peu gêné. Je pense que je suis la personne la plus proche de lui, après mon père."

J'hoche la tête en réfléchissant. Non mais de quoi je me mêle après tout ? Parler des histoires sociales avec une fille, ça ne me ressemble pas. D'ailleurs, c'est bien la première fois que ça m'arrive.

Alors que je gamberge en finissant mon assiette, elle coupe ma réflexion. Comme si la discussion sur Wolfgang n'était pas encore finie.

"- Tu trouves que nous ne sommes pas proches ? Demande-t-elle, inquiète.

- Je ne l'ai jamais vu, si je peux me permettre.

- Ah oui, en effet.."

Elle fait une moue vexée, en se rendant compte de la bêtise de sa question. Je concentre mon attention sur Louis qui joue avec les franges de mon châle depuis un petit moment. Il me sourit avec ses petites dents mal alignées.

"- Tu sais, reprend-elle d'une petite voix,  c'est quand même mon fiancé."

Je manque de m'étrangler avec ce qui s'apparente à un brocolis, mais tente de garder toute contenance. Elle secoue ses mains, comme pour me faire signe que ce n'est rien.

Ils s'aiment ses deux là ? Même sans l'avoir vu lui, ça n'a pas l'air si frappant que ça..

"- Tu ne comprends pas parce que tu n'es pas d'ici, mais c'est normal. C'est une sorte de mariage arrangé, si on peut dire. Si je deviens chef à mon tour, il me faut un mari pour m'accompagner, c'est la tradition.

- Et donc ton père t'as choisi Wolfgang comme mari ?

- Voilà.

- Mais, pourquoi Rémus gouverne seul alors ?  Demandé-je en fronçant les sourcils.

- C'est que ... Ma mère est morte il y a un certain temps.

- Oh, pardon. M'excusé-je un peu coupable.

- Ne t'en fais pas. Et puis, vois-tu, c'est moins grave de gouverner seul pour un homme."

Quand je la regarde de près, rayonnante face à moi, elle ne semble pas si dérangée que ça par une union arrangée. Bien que je ne les connaisse pas du tout, cet espèce de mariage m'a ébranlée, ça ne me ressemble pas.

Je me demande bien au fond ce que pense Wolfgang de cette décision. Ce type est au beau milieu de toutes les conversations et pourtant je ne l'ai pas vu une seule fois.

Point de vue de Wolfgang.

Assis contre un arbre, un carnet entre les mains, je tente de compléter ma carte. Je la tourne dans tous sens avec un air contrarié.

"- Mais il est où ce fichu sentier !"

Je soupire. Quand je me suis lancé dans cette tâche de cartographier les chemins de la forêt... Je ne pensais pas que ça serait un travail si laborieux.

Rien ne ressemble plus à un arbre qu'un arbre, cette forêt est un vrai labyrinthe.

Je pose mon carnet sur mes genoux quelques instants, en levant la tête vers le ciel. La nuit ne va pas tarder à tomber il faudra bientôt que je rentre.

Je me demande bien comment s'est passé le déjeuné de ce midi. À cette pensée, mon ventre gargouille. Il est temps que j'arrête de sauter les repas.

Même si d'habitude je ne culpabilise pas trop de disparaître pendant chaque réunion importante, pour une fois, j'ai quelques remords. J'aurais dû me présenter.

Je me suis juste contenté d'observer son arrivée de loin. Elle m'a paru tellement faible que ça m'a pertubé. Son corps si frèle et son dos cassé par la fatigue... Elle n'avait rien à voir avec la fille qui se battait pour survivre dans la forêt.

Ça ne m'a pas dégouté, mais juste ébranlé. Je l'ai sauvé, mais elle aurait très bien pu mourir de ses blessures vu son état. Pourtant, pas une fois, je ne suis retourné la voir.

Je me lève en grimaçant, rentrant le petit carnet dans une poche intérieure. Il ne faudrait pas que mon intérêt pour cette fille vire à l'obsession. Comment ne pas se laisser happer par son histoire branlante et sa fureur de vivre ?

Je fronce les sourcils, en tentant de ralentir toutes ces pensées.

Le rôle de combattant froid et désintéressé, que j'occupais avant son arrivée, me siet très bien. Je ne peux pas laisser une inconnue bouleverser inconsciemment ce que je suis.

Âmes TranchantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant