Chapitre 36

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Je sens le contact humide et meuble de la terre sous mes joues. Mon souffle haletant se perd entre les brins d'herbe alors que je tente de retrouver ma respiration. Je me retourne difficilement sur le dos en grimaçant. Combien de temps me reste-t-il avant l'aube ? Une heure, peut être trois ? Je ne sais plus, j'ai complètement perdu la notion du temps.

Je reviens à la situation en entendant les gestes maladroits du sans-âme qui se rapproche de moi. Je me retourne sur le dos et découvre sa carcasse dressée à quelques pas, avançant dans ma direction. Je déglutis et rampe sur le dos pour m'éloigner faiblement de lui. J'entends le son de son souffle chaud et putride qui s'échappe de ses poumons. Son regard jaune me transperce de toute part.

Mon dos finit par rencontrer le tronc d'un arbre et je me cale entre ses racines, assise tant bien que mal. Je n'ai plus la force de me mettre debout, maintenant si rien ne vient me sortir de là c'est la fin. Je ne peux pas me battre éternellement , maintenant mon corps m'abandonne à mon sort.

Il s'approche de moi, d'un pas lent, tandis que j'entends encore la course des autres qui n'attendent que de me trouver. Bientôt celui la m'aura à sa merci et les autres viendront le rejoindre.

J'ai peur, je ne veux pas qu'il me touche. Je jette un œil à ma lame que je tiens fermement dans ma paume depuis la course poursuite. Je distingue à peine le métal sous tout ce sang noir.

Le monstre comprend vite que j'oppose une faible résistance et se rue sur moi comme un animal enragé. Il arrive et me domine de toute sa taille malgré son corps cadavérique. Son odeur nauséabonde m'empêche un peu plus de respirer, je me sens partir peu à peu.
Sa peau est recouverte d'un sang noir impure qui vient s'écraser en grosse gouttes sur ma peau, dans un contact écœurant.

Je sers les dents, des larmes coulent sur mes joues sales, cheminant à travers le sang séché. La terreur sert mon coeur et ses battements pulsent au rythme des gestes lourds du sans-âme.

Son corps se penche un peu plus au dessus du miens. Il est tout simplement terrifiant. Sa grande main osseuse s'avance vers moi pour m'attraper à la gorge.

Il s'arrête. Son visage est à quelques centimètres du mien, je ne respire plus. Je peux presque sentir la chaleur poisseuse qui l'anime. À travers sa gueule entre-ouverte, je découvre ses dents déséquilibrées, baignant dans un liquide noirâtre.

Il est immobile et tourne la tête comme si quelque chose l'avait dérangé. Comme un appel de ses frères, comme si quelqu'un venait troubler l'ordre des choses.

Je sais que cette chance ne se présentera pas deux fois, il faut agir maintenant.

Je profite de ce moment d'inattention pour enfoncer mon arme dans son abdomen dans un geste lourd mais déterminé. Il pousse un râle sinistre avant de s'étaler sur mon propre corps de tout son poids, s'enfonçant sur la lame. J'entends sa chair se déchirer lorsque mon épée ressort de l'autre côté.

Il convulse et s'écrase contre moi dans des gémissements de souffrance. Son corps me recouvre et je commence à étouffer. Il est lourd et me bloque tout mouvement. Je n'arrive pas à respirer contre sa chair et tout son sang qui me noie.

Je suffoque et tremble contre le monstre qui remue faiblement aux portes de la mort. Je tente de le faire basculer sur le côté, en tenant fermement mon pommeau à deux mains. mais mon effort est vain, mes forces m'abandonnent.
Je me sens partir en même temps que lui dans une semi inconscience. Ma vue me quitte, ma respiration halète, j'entends juste des bruits de luttes et des cris rauques percer entre les arbres avant de sombrer.

Ma dernière pensée lucide est que je suis heureuse d'avoir pu voir au delà des murs d'arya au moins pour quelques heures. Mais à quoi je m'attendais ? il avait-il vraiment un autre monde par delà la forêt ? Ce ne sont que des sans-âmes et des arbres. Arya est mon monde, mais j'ai toujours espéré secrètement qu'il n'en fut rien. Que ce n'était qu'une étape, une limite.

Je revois le visage inquiet de ma mère et les traits doux de mon père. Mais aussi le visage pur de Jonas, encadré par des mèches rousses, qui me couvait d'un regard protecteur. Puis petit à petit tout devient flou, les visages s'effacent et c'est le néant.

Âmes TranchantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant