Chapitre 22

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Les hommes de la milice comprennent vite la situation et s'élancent dans notre direction pour porter secours à Jonas. Je sais que mon temps est compté. 

Je fixe mon ancien compagnon avec un regard dur. 

"- Cette fille, ça aurait pu être moi. "

Je retire ma dague dans un geste rapide et glisse la paire le long de mes cuisses, avant me relever. Nos yeux se croisent une dernière fois. Puis je fais demi-tour, fendant la foule pour fuir les soldats. Mon corps se plaint de l'effort physique, pas encore remis de l'affrontement avec Jonas. 

Les bruits de course résonnent avec violence dans mon dos. Je bouscule les gens devant moi, sans état d'âme. Les habitants ne semblent pas comprendre ce qu'il se passe et mettent du temps à réagir. 

Mes pensées deviennent incontrolables. Où fuir ? Que faire ?

Je m'extirpe du rassemblement de personnes pour m'engager dans les rues moins bondées, les hommes toujours à mes trousses.

Mon cerveau peine à réfléchir sous l'effort, tant les événements se saccadent à une vitesse folle.
Je me rends soudain compte que mes jambes prennent par réflexe le chemin de la maison.

Grosse erreur, je ne peux pas mettre ma famille en danger !

Heureusement, il n'y a aucun cavalier parmi mes poursuivants, sinon je ne donnerais pas cher de ma peau. Je sens les soldats gagner du terrain, car ils restent des hommes mûrs ce qui les rend plus rapide que moi.

Je me crispe sous la frustration. Si je veux gagner du temps, il va falloir ruser.
Mon pied droit freine d'un coup sec et je prends la ruelle à ma droite sans une once d'hésitation.

Je m'élance dans les artères sombres de la basse population, que je connais par cœur. Jonas et moi y avons tant couru étant enfants, que j'en connais chaque recoin. Mon sang bat à un rythme fou dans mes tempes et mon souffle m'arrache la gorge. Je suis dans un état de tension et de stress total. Si l'adrénaline me lâche, je m'écroule à coup sûr. 

Il faut dire que ces labyrinthes sont si étroits que deux hommes ne pourraient pas s'y tenir côte à côte, ce qui me donne un avantage sur le groupe de la milice. 

Un plan tente de se former dans mon esprit alors que je progresse à toute allure. Il me faut une idée pour pouvoir gagner du temps. Si je ne peux pas aller chez moi, où me rendre ? 

 Pendant que mon cerveau travaille, je renverse tout ce qui se met en travers de mon chemin pour gêner la progression de mes ennemis. Je bouscule même les rares personnes qui croisent ma route, sans aucun remords.   

Les bruits effrénés des pas de la milice disparaissent peu à peu derrière moi, prouvant que je commence à les semer.  Ma ruelle finit par déboucher sur la rue principale, au grand jour. Mes yeux parcourent le paysage urbain, hésitants. Mon souffle est court, mes muscles tremblent tandis que des gouttes froides dévalent le long de mon front. Vite. J'ai besoin d'une idée maintenant, n'importe laquelle, je manque de temps. 

Le cimetière. 

Mes jambes réagissent au quart de tour. C'est la seule carte que j'ai en main pour le moment. 

Je fends la population qui déambule par habitude dans la rue. Je suis les ombres, longe les murs. Je fais tout pour rester aussi rapide que discrète. Après des minutes que je ne saurais compter, les grilles métalliques du cimetière se dressent devant moi. Je les regarde un instant comme l'une de mes seules chances. 

Quand mes mains moites se posent sur le métal glacé, j'ai une pensée pour Jonas. S'il est toujours dans mon camp, j'ai une chance. S'il aide la milice, j'ai très peu de temps avant d'être retrouvée. 

Je reprends mes efforts et escalade la barrière, seule, pour une fois. Je sais mon regard dur et déterminé. Qu'importe ce qu'il se passera s'ils viennent me chercher. Dans ce lieu, je suis plus puissante que n'importe où. Je m'y sens forte et protégée, inatteignable.

Après un saut rapide, j'atterrie accroupie sur l'herbe grasse qui entoure les tombes. Mon souffle se calme d'un seul coup et mon corps arrête de trembler comme une feuille. Je me sens sereine, confiante, quoi qu'il puisse se passer à l'avenir. Et si je compte mes derniers instants à Arya, je suis heureuse que ce soit dans ce lieu. 

Je marche d'un pas tranquille vers le cœur du cimetière. L'ambiance qui règne à cette heure est différente, sans les lanternes et l'obscurité nocturne. Des couleurs, des détails plus prononcés, je ne suis pas habituée a venir le jour. Ce n'est pas déplaisant. 

Une fois arrivée devant la tombe du Roi Rhodrian, je m'assois en tailleur dos à celle-ci, les hauts murs se dressant au loin, face à mes yeux. Que puis-je bien faire d'autre ? Mieux vaut profiter de mon répit. 

Je regarde, avec un air vide, la forêt onduler avec lenteur derrière les murailles. L'air est humide, je pense peu. Un jour j'y mettrais les pieds, c'est comme une intuition. Un pressentiment. Je me rends bien compte que rester à l'intérieur de la cité devient un combat de tous les instants. 

Je ne sais pas quand, mais je sais que ça arrivera. Un jour ou l'autre, je serais de l'autre côté, sous ces arbres qui poussent des gémissements plaintifs à cause du vent. Un soupire m'échappe.

Des bruits de pas effrénés. Mon visage dévie vers l'agitation. La milice. 

"- Elle est là !"

Âmes TranchantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant