Chapitre 37

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Pourquoi je suis encore en vie ?

Qu'est-ce qui me donne le droit d'exister plutôt qu'un autre ?
Combien de fois ai-je vu les portes de la mort, dans un moment funeste, avant de faire simplement demi-tour ? Ai-je une vie de douleur et de labeur juste portée par l'immortalité ? Au fond, je ne pense pas. Un jour je céderais et là, le destin me laissera au coup du sort... Et la mort m'emportera comme tout le monde.

En attendant, je suis toujours là.

Alors que cette pensée s'impose à moi, des voix viennent percer ma conscience. Elles sont d'abord lointaines, puis de plus en plus claires, me forçant à me réveiller.

Une des deux paraît rauque et fatiguée, et surtout en pleine remontrance. Ce sont de toutes évidence deux voix d'hommes, d'âges éloignés.

Toujours les yeux fermés, je tente de suivre leur discussion. Je me rends compte que ce n'est pas la première fois que je vis cette situation. La dernière étant ma remise de conscience au palais, après mon éveil. Il faut croire que les gens ne se gênent pas pour parler à côté de moi quand je suis endormie, voire inconsciente. Bien que cette fois, les voix ne semblent pas être dans la même pièce, mais tout de même assez proches pour être entendues.

"- Wolfgang, cesse de gesticuler et écoute moi !
- à quoi bon t'écouter, tu rabâches sans cesse les mêmes choses en boucle.
- Tu es insouciant et surtout beaucoup trop impulsif !
- ...
- Arrête de m'ignorer, ça ne marche pas avec moi. Tout ça aurait pu te coûter la mort !
- Et alors ? On allait la laisser mourir ? On a déjà trop de pertes parmi les bannis, pour les sacrifier à tour de bras.
- Ta vision est trop étroite, tu ne penses pas au reste... Tu es l'un de nos meilleurs atouts. Je sais que c'est une vie humaine, mais on aurait perdu beaucoup plus dans un cas que dans l'autre !
- Depuis quand une vie ne vaut pas un vie ? Vous me faites penser au royaume avec une telle mentalité. "

J'essaye de suivre tant bien que mal, mais un tapotement répétitif perturbe mes pensées. Frustrée, je finis par ouvrir les paupières en grimaçant.

Je me retrouve nez à nez avec un enfant assis sur une chaise. Je comprends vite que le bruit redondant vient de ses talons, qui tapent les pieds de son siège, dans un geste inconscient.

Quand il voit que je suis réveillée, il sursaute et tente de disparaître en courant. J'ai juste le temps d'étendre le bras pour refermer mes doigts sur son poignet. Ce geste m'épuise d'un coup, mais je reste concentrée sur l'enfant.
En mettant mon doigt sur ma bouche, je lui intime le calme.

Alors que je m'apprêtais à le voir crier de toutes ses forces, il se contente de s'asseoir docilement. Je murmure tout bas, tout en fixant sa bouille arrondi par des traits enfantins.

"- Moi c'est Eraun. S'il te plait laisse moi juste écouter la fin de la discussion. "

Il opine du chef en gardant le silence. Pendant qu'il me fixe avec des yeux ronds, je me re-concentre sur la voix des deux hommes.

"- Cela ne peut plus durer, tu dois gagner en maturité ! Reprend le plus âgé des deux.
- Je suis bien assez mature, c'est seulement vous qui devriez lever un peu le nez de vos intérêts. Contre le second avec une pointe de dédain et d'insolence dans la voix.
- Je suis le chef ici, c'est mon devoir.
- Cessons de tourner autour du pot, je pense que nous nous sommes tout dit pour cette fois ! Clôture le jeune en ignorant le dernier argument.
- Non ! Wolfgang où vas-tu ?
- faire un tour.
- On en a pas fini ! Et cette bannie ? Tu ne veux pas attendre son réveil ?
- Pour quoi faire ? Apparemment sa vie n'a pas d'importance. Ajoute-t-il des plus froidement avant que le bruit d'une porte qui claque ne résonne. "

Alors que la porte claque à en faire trembler les murs, nous sursautons dans un même temps avec le petit garçon. Je le regarde interloquée et il me répond par une grimace. Puis il ajoute avec une voix fluette et assurée.

"- Moi c'est Louis, Bienvenue dans mon village.
- Enchantée Louis."

Je ne peux m'empêcher de lui sourire. Comment résister à une petite bouille comme celle-ci.

Il a des cheveux brun en bataille sur le crâne, des yeux pétillants et des petites fossettes quand il sourit. Je ne lui donnerais pas plus de quatre ou cinq ans, il est adorable. Alors qu'il redevient silencieux, je m'attarde sur le décor inconnu.

Je suis dans une chambre moyenne, couchée sur une paillasse en bois recouverte d'un fin matelas en coton. Tout est en bois et imprégné de la nature. De grandes bibliothèques montent le long des murs et sont chargées de vieux livres en cuir. Au final, tout parait très manuel dans cette pièce, on y sent la patte de l'homme.

Alors que je suis obnubilée par mon observation, des bruits de pas attirent mon attention. Une grande main vient repousser le rideau qui servait de porte à la chambre, laissant apparaître l'homme le plus âgé. Je sens que je vais enfin comprendre ce que je fais là.

Âmes TranchantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant