Chapitre 9

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Evannah

Courir a toujours été un véritable plaisir pour moi. Et c'est même plus fort que ça, c'est une sorte de défouloir. J'ai toujours aimé ce loisir, même lorsque j'étais cheerleader et que l'entraînement et la compétition me prenaient quasiment tout mon temps, je courais au moins deux heures par semaine. J'en avais besoin pour me libérer l'esprit en solitaire. Alors aujourd'hui ne fait pas exception : je cours dans un parc immense, décrivant une large boucle en slalomant de temps à autre entre les arbres. Toutes les dix minutes, je teste mes pointes de vitesse : j'accélère le rythme, me mettant à sprinter sur quelques centaines de mètres, puis je ralentis et retrouve une cadence de footing léger. Je m'épuise le plus possible afin de ne plus penser à rien. Plus jeune, cette méthode était vraiment efficace ; mais aujourd'hui, j'ai l'impression que ça ne suffit plus.

Je réfléchis, bien malgré moi, aux derniers événements : le retour de mon ancienne meilleure amie, l'approche de mon premier jour officiel de travail, la demande en mariage de Garrett... Tous ces éléments tournent en boucle dans ma tête depuis plusieurs semaines, et je ne sais toujours pas quoi ressentir exactement. Garrett me demande d'attendre avant de nous marier, il estime que nous devrions rester fiancés quelques années... Quelques années. Est-ce que je suis prête à faire cette concession ? J'aime Garrett et je veux vraiment me marier avec lui, fonder une famille, notre famille, mais j'aimerais le faire maintenant. Je sais, beaucoup de gens penseraient que c'est bien trop tôt et précipité, que je suis trop jeune etc... mais je m'en fiche. Je me sens prête pour tout ça. Là, maintenant. Au bout d'un moment, j'ai peur d'en vouloir à Garrett de me faire languir et de me voir rompre nos fiançailles parce qu'on n'arrivera pas à un compromis... Je me sens tellement mal de penser ça... mais je le pense.

Pourtant, Garrett a eu les bons mots, comme toujours. Sur le moment, je me sentais aimée, adorée et rassurée de constater que lui aussi veut construire un avenir avec moi. Tout ce qu'il me demande c'est juste un peu de temps pour qu'il puisse finir son cursus universitaire et se mettre au travail ; un an ou deux ans ce n'est pas si long en fin de compte.

Je ne sais plus quoi penser, mes craintes et mes angoisses resurgissent à chaque fois que je tente de me rassurer. J'aimerais tellement être sûre que j'obtiendrai tout ce que je veux !

Non, il faut vraiment que j'ai un peu plus foi en Garrett. Il m'aime et fera tout pour me rendre heureuse en temps voulu. Il faut que je me montre patiente avec lui, et très bientôt je serai devant l'autel pour dire oui à l'homme de ma vie. Je rêvasse encore quelques minutes, évoquant des images de mon futur mariage, plus belles et magiques les unes que les autres, puis je pense à Alyssa.

Elle me manque. Voilà je l'ai dit. Elle me manque depuis des années ; j'ai eu tellement besoin d'elle pendant tout ce temps... Elle était ma force, mon ancre au lycée, et je ne concevais pas ma vie sans elle. C'était ma sœur... Mais je suis aussi horriblement en colère contre elle. Elle m'a menti, m'a trahie insidieusement au pire moment qui soit. En sept ans de séparation, je n'ai pas trouvé la force ni l'abnégation de lui pardonner. Ça ne m'empêche pas de toujours l'aimer comme une sœur, cependant je n'arrive pas à dépasser ma rage. Pas encore.

Peut-être que j'y arriverai, peut-être que si on passait un peu de temps ensemble... Je ne suis pas encore bien sûre de la marche à suivre, je ne sais pas si l'on peut redevenir amies, elle et moi. Et il est très probable que rien ne redevienne comme avant, quand j'y pense ça me semble impossible. Sept années nous séparent après tout : je ne suis plus la même qu'à dix-huit ans, et je suis certaine que ça doit être la même chose de son côté. Le peu que j'en ai vu va d'ailleurs dans ce sens. Certes, Alyssa a toujours été d'un naturel vif et pétillant, mais là... je vais paraître vieux-jeu en disant ça, mais elle s'est carrément dévergondée. Elle est pleine d'assurance et de sex-appeal avec les mecs, et face aux filles elle est plutôt frivole et enjouée. Sa manière de bouger et d'occuper une pièce est sans doute l'aspect de sa nouvelle personnalité qui m'impressionne le plus. Si elle le souhaitait, Aly fendrait la foule aussi facilement que Moïse fend les mers.

A force d'être plongée dans mes pensées, je ne fais plus vraiment attention ni à mes foulées ni au paysage qui m'entoure. Je décide donc de ralentir mon allure, passant d'un footing soutenu à un trot tranquille, lorsque je remarque que je suis aux abords ouest du parc. Ce dernier fait face à une zone résidentielle huppée, peuplée de quelques maisons et appartements de haut standing. Le contraste entre la nature calme et paisible que je viens de quitter, et l'urbanisme et la modernité qui me font face est frappant. C'est limite déplacé même, mais dans une grande ville comme celle-ci, ce genre de contraste n'est pas rare et la cohabitation entre les deux est obligatoire. Je n'ai sans doute pas encore pris l'habitude de voir ces nuances si prononcées. Là où je vivais avant, il y avait d'un côté la ville et d'un autre la nature : il n'y avait pas besoin de préserver ou créer de nouveaux espaces verts. Je stoppe là mes divagations et commence mes étirements post-footing pour éviter les claquages et courbatures.

J'effectue une série de montée de genoux, lorsque je l'aperçois. Alyssa. Et elle n'est pas seule ; une ravissante petite fille l'accompagne. Elles sont à quelques centaines de mètres moi, en train de se diriger vers un des appartements du quartier.

Une fois devant les portes, la fillette se retourne et commence à jouer en descendant puis remontant les marches, dans un fou rire retentissant. Alyssa la regarde s'amuser, un air béat sur le visage. Qui est cette fillette ?

Vu son allure générale, je dirais qu'elle a dans les 2/3 ans, donc il m'est impossible de savoir quel lien les unit. Je m'attarde davantage sur cette petite : indéniablement, elle est magnifique. Son visage est entouré par de beaux cheveux bruns, ses yeux sont immenses, et très foncés, encadrés par de larges cils, soulignant ainsi la douceur de ses traits. Ses joues ont conservé la rondeur caractéristique des bébés ce qui la rend encore plus adorable et attendrissante à mes yeux. Peut-être s'agit-il de la fille de sa sœur... Après tout, Caroline était en couple depuis deux ans lorsque j'ai rompu tout contact avec Alyssa, et elle envisageait très sérieusement un avenir avec son copain, Steven.

Au fil de mes réflexions, je me suis rapprochée inconsciemment d'Aly et de l'enfant. Je vois plus clairement la scène de là où je suis : la fillette rit aux éclats entre deux bonds, pendant que mon ancienne meilleure amie l'applaudit et l'encourage bruyamment. Je lis dans ses yeux qu'elle adore cette petite : elle est complètement gaga devant elle, je ne l'ai jamais vue comme ça avec un enfant. Au lycée, quand on parlait de nos avenirs respectifs, Alyssa n'évoquait jamais la possibilité d'avoir des enfants ; au contraire, elle n'en voulait pas, ne portait pas d'intérêt aux enfants. A la voir aujourd'hui, il semblerait qu'elle ait un peu revu son opinion sur le sujet...

Je reste comme fascinée devant cette scène si troublante, lorsque tout bascule : en entendant son prénom, la petite fille se tourne vers Alyssa, un immense sourire aux lèvres. Et ce sourire est la copie conforme de celui d'Aly. La ressemblance est trop grande, trop forte... Cette enfant a la même chaleur dans les yeux, la même bouche avec une lèvre plus pleine que l'autre, le même sourire attendri... le même que sa mère. Alyssa est sa mère. Je n'ai aucun doute là-dessus.

Avant que je ne m'en rende compte, un hoquet de stupeur m'échappe, attirant vivement l'attention de mon ancienne amie. Ses yeux s'écarquillent en m'apercevant, puis elle blêmit légèrement.

Elle sait que je sais.


Exception - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant