Chapitre 28

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Alyssa


Pendant des années, l'orage me terrifiait. C'était ma hantise. Quand il se mettait à rugir, court-circuitant le réseau électrique de la maison au passage, je criais et me précipitais sous mon lit, ou sur celui de mes parents quand ils étaient là. J'étais tétanisée par ma peur, les yeux exorbités face aux zébrures dans le ciel, ou bien les yeux fermés tellement forts que je finissais par avoir des maux de tête pendant des heures. Je me revois encore tremblante de tous mes membres, la main sur la bouche afin de retenir mes sanglots le temps que l'orage passe.

Rien ne parvenait à me calmer, ni mes peluches préférées, ni même la caresse réconfortante de ma mère. J'étais comme... obsédée par ma peur ; l'angoisse m'étreignait au point de me rendre insensible à tout ce qui m'entourait. La seule chose plus forte que ma peur, toutefois, c'était mon instinct de conservation qui me dictait de fuir et de me cacher de l'orage.

Jamais je n'avais aussi peur de ma vie que lors d'un temps d'orage. Jamais je n'avais autant tenté de fuir, ou de me réconforter. Jusqu'à l'âge de quinze ans. A cette époque, j'ai connu tellement d'effroi, combiné à de la souffrance, que les éclairs, la foudre et le tonnerre, n'ont plus jamais eu cet effet sur moi.

L'unique chose qui m'a terrorisée pendant presque trois ans n'était plus cette peur aussi archaïque que celle du noir. Non. J'avais peur d'une personne, bien réelle et parfaitement capable de me faire du mal. Elle ne hantait pas seulement mes nuits, mes journées n'étaient pas épargnées non plus. Elle ne peuplait pas simplement mes songes, elle s'appropriait mes pensées aussi. Elle ne m'a pas seulement démolie physiquement, elle a aussi souillé une partie de mon âme.

Je me perds dans la contemplation de la tempête qui fait rage dehors. Assise dans le salon de Ian, j'observe un instant les éclairs bleuâtres qui s'abattent sur la terre et les arbres devant moi, et je me demande ce qui a bien pu tant m'effrayer enfant...

Evannah est à côté de moi, à m'observer intensément. Ses mains serrées en poings trahissent son malaise croissant ainsi que sa peur. Ian est stoïque dans son fauteuil, les coudes plantés sur ses cuisses dans l'attente de mon récit. Une chape de plomb pèse sur mes épaules tant la situation est stressante. Je suppose que je ne peux pas faire autrement que de me confier, cependant ce revirement de situation me trouble. Je regarde Evannah dans les yeux et lui pose la question qui me tourmente depuis son arrivée fracassante.

- Pourquoi maintenant ? lui fais-je, sachant pertinemment qu'elle comprendra ce que je veux dire.

Evy tord ses mains en tous sens et sa mâchoire se contracte.

- Quelques... événements inattendus m'y ont poussée, répond-elle, énigmatique. Parle, s'il te plaît, ajoute-t-elle, comme au supplice.

Je laisse de côté ma propre curiosité pour satisfaire la sienne et me lance dans un récit clair et lucide.

- Lorsque nous sommes devenues amies, toi et moi, on passait beaucoup plus de temps chez toi que chez moi. L'état de ma mère y était pour quelque chose...

Un éclair de compassion traverse les yeux d'Evannah à l'évocation du cancer de ma mère. Les commissures de mes lèvres se redressent légèrement en réponse à son regard. Ian fronce un peu les sourcils, ignorant tout de ma famille. Je plonge mon regard dans le tapis rayé du salon, préférant ne pas me laisser perturber par leurs réactions à l'un comme à l'autre.

- Alors nous avons traîné dans ta chambre, ton jardin, poursuis-je d'une voix calme. Et puis ton frère a commencé à traîner avec nous. On a passé de bons moments ensemble, à regarder des films, à faire des jeux de société, à embêter vos voisins... Pendant plusieurs mois, on était heureux tous les trois, déclaré-je, un rictus aux lèvres. Jusqu'à ce que ça ne suffise plus...

Exception - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant