Carrefour

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Ce jour-là, elle trouva, sans trop savoir comment, le courage d'envoyer un message à celui qui occupait toutes ses pensées, malgré le fossé qui semblait désormais les séparer.

Ce soir, je repense à nous. À notre parcours atypique. C'était presque dingue, cette amitié, alors qu'une haine cordiale s'était installée entre nous depuis des années.
J'crois que c'est devenu du solide, le jour où je t'ai trouvé en larmes, dans les vignes près de chez nous. Ça aussi, ça nous a aidés, de vivre proches.
Tu te rappelles, comme tu pleurais? Ta grand mère te manquait. La mienne aussi. On s'est retrouvés comme des cons, yeux dans les yeux, avant que tu ne décides de me prendre dans tes bras, en t'accrochant à moi comme si ta vie en dépendait.
Après ce moment d'émotion, tu m'as promis de ne plus jamais te laisser aller, d'être toujours plus fort que moi, d'être mon pilier.
Tu l'étais.
Et t'es parti. Comme ça, sans prévenir. J'savaist'étais, depuis longtemps. Dès que j'ai remarqué ton absence, j'ai su, j'ai senti où tu étais parti, où tu avais fui, comme l'an passé. Je t'en ai voulu. Ça fait plus d'un mois que t'es parti, et il m'aura fallu ce laps de temps pour accepter ton point de vue, aveuglée par la rancoeur.
"J'avais besoin de toi pour me reconstruire, et toi tu t'es tiré. Connard."
Mais tu sais quoi?
Comme tu le dis si bien, ça cicatrise bien. Lentement, mais ça cicatrise.

Elle s'interrompt, hésitante. Comment devait-elle achever son message?

Tu me manques. J'te vois, j't'entends partout, pourtant parfaitement consciente que c'est ridicule puisque tu ne peux pas être avec nous. Avec moi.
Nous arrivons à un carrefour déterminant de notre relation. Allons-nous nous séparer maintenant?

Avant de se questionner davantage, elle envoya le message, inspirant un grand coup.
Elle fut réveillée dans la nuit par un vibrement de son téléphone. Il avait répondu.
Non, on ne va pas se séparer maintenant. On va aller de l'avant. Ensemble.
Oh, et pour continuer dans les comparaisons, si je suis ton pilier, tu es mon mur porteur.
Tu me manques aussi.
À dans quelques temps...

Elle lut le message. Ne sourit pas. Ne pleura pas. Elle se rendormit simplement, apaisée pour la première fois depuis longtemps.

RegardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant