T'as pas le choix

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Une salle froide, remplie de matériel médical.
Le bruit incessant des moniteurs cardiaques.
Et deux jeunes, de sexe opposé, dans des brancards côte à côte, qui ne se sont pas adressés un regard.

Un infirmier arrive, s'adresse à eux, jovial.
" - À qui je pose la perfusion en premier?"
La jeune femme lève la main, sereine.
À l'instant où l'aiguille s'enfonce en elle, elle sait que la piqûre est ratée, qu'elle aura un hématome conséquent lorsqu'il sera temps de lui enlever ce qui la relie à ces poches remplies de médicaments. Elle a mal, mais serre les dents, sourie à l'infirmier.

C'est au tour du jeune homme de subir le même sort qu'elle.
Elle l'entend respirer, de plus en plus fort, elle sent sa panique alors même que le garrot n'a pas été placé sur son bras.
Sans réfléchir, elle tend le bras par dessus les barrières de leurs brancards.

De leurs mains libres, ils se tiennent.
Au fur et à mesure que le jeune homme est mis sous perfusion, elle lui parle.
" - Eh, ça va aller.  C'est désagréable, ça pique, ça fait mal même, je te l'accorde, mais ça va passer. Ça ne dure que quelques secondes. Je suis là, d'accord?"

L'infirmier les laisse dans la salle après avoir remercié la jeune femme d'un sourire, ils sont de nouveau seuls.
Ils s'observent, sans se lâcher la main.
On devine que c'est la première fois qu'il subit une grosse intervention. Il scrute chaque élément de la salle avec inquiétude, sursaute à chaque bruit. Il est pâle, ses yeux noirs sont grands ouverts.
Elle, en revanche, est d'un calme olympien, bien que son visage soit  émacié, épuisé. Ses beaux yeux verts sont mangés par de grands cernes, ses lèvres blanchies par la fatigue. Rien ne l'étonne, elle rit avec le personnel médical. Elle est habituée à cet environnement.

" - Merci de m'avoir soutenu, j'ai été con d'avoir réagi comme ça.
- Je t'en prie, je sais ce que c'est, la peur. Et puis à quoi ça sert, d'être  aussi proches dans des brancards si on peut pas se filer un coup de main? Sans mauvais jeu de mot, bien sûr."
Elle rit doucement, sa voix est éraillée, fragile.
Elle le regarde, il se sent transpercé par ces yeux qui semblent voir au plus profond de lui.
"- Alors, c'est ta première, hein? T'as des réactions de petit nouveau. T'es là pour quoi?
- Greffe de moelle. Leucémie aiguë lymphoblastique. J'ai la trouille que ça foire, que mon corps rejette la moelle.
- Tu vas t'en sortir. T'es jeune, vigoureux, ça va le faire. Ça va le faire."
Sans savoir pourquoi, il se sent rassuré. Il se demande par quoi elle est passée, mais n'ose pas lui demander.
" - Tu te demandes ce qui m'est arrivé, pas vrai?
Quand j'avais 10 ans, LAL, comme toi. J'y ai survécu. À 14 ans, j'ai sombré dans l'anorexie. J'ai encore des rechutes, de temps en temps, des moments où manger est une galère sans nom, mais le pire est derrière moi.
- Et aujourd'hui, pourquoi t'es là?
- Oh, trois fois rien. C'est les dents de sagesse, aujourd'hui!"
Il sourit, impressionné par la force dont elle fait preuve. Une infirmière vient le chercher, et il se rend compte que sa main tient encore celle de la jeune femme. Elle la lui presse fermement, son visage se fait rassurant.
Elle est la dernière image qu'il a lorsqu'on lui injecte les produits anesthésiants, la première qu'il a au réveil.

Une fois remonté dans sa chambre, il la trouve assise sur un fauteuil roulant, le bas du visage recouvert d'un grand pansement.
Ses yeux sont rieurs, elle lui fait un clin d'oeil.
" - Je voulais m'assurer que tu allais bien."
Elle articule difficilement, lentement.
" - Si tu veux me contacter, les infirmières ont mon numéro. Promets- moi que tu vas te battre. T'as pas le choix."

RegardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant