Dissidence.

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C'était certainement le milieu de la nuit, maintenant, et Eren était épuisé. C'était sans doute pour cette raison que son corps mettait du temps à réparer son nez, tristement désaxé et brisé par le front du caporal-chef. Assis sur un tabouret et penché au-dessus d'un évier, il tentait tant bien que mal d'endiguer le flot nasal, se débarbouillant à l'eau froide toutes les dix secondes. Le caporal avait refusé qu'il prenne un torchon propre en prétextant, d'une part, que ce genre de tache était trop chiante à laver et, d'autre part, qu'il préférait le regarder se vider de son sang. L'homme s'était ensuite assis, accoudé à la table, et avait gardé le silence en attendant qu'Armin fasse bouillir de l'eau et lui prépare son thé.

Eren sentit ses sinus s'échauffer et comprit que le travail de régénération commençait enfin. Il ressentit un vif picotement lorsque l'arête cartilagineuse de son appendice atrophié se ressouda, puis ses narines finirent par se tarir. Il se rinça le visage une dernière fois et se retourna vers Levi :

« J'ai le droit à quelque chose pour me sécher la tronche ou pas ? » demanda-t-il, acide.

Pour toute réponse, son supérieur lui jeta un chiffon sale en pleine figure, et porta son attention sur Armin :

« Ça vient ce thé, Arlelt ?

— Désolé, caporal-chef, répondit l'interpellé d'un air contrit. J'ai l'impression que notre stock est un peu... éventé. »

L'homme leva un sourcil. En quelques pas, il fut aux côtés du jeune blond et inspecta, d'un œil expert, le fond d'un pot que ce dernier venait de sortir d'un placard.

« Tch ! Pas moyen que j'avale une infusion de ce truc périmé !

— Encore désolé, ajouta Armin, confus. Presque personne n'aime ça parmi les jeunes. On en boit très peu, ici, et j'ai dû oublier de réapprovisionner nos réserves. Comme vous, hem – il s'éclaircit la gorge – ne venez pas très souvent... C'est sûrement le restant de ce que vous avez amené lors de votre dernière visite. »

Eren remercia Armin d'avoir souligné le fait que le caporal ne s'était pas beaucoup manifesté ces dernières années. Pas suffisamment, en tous cas, pour se montrer trop pointilleux. Il le vit secouer la boîte métallique et renifler son contenu d'un air dégoûté, avant de déclarer :

« C'est pas du thé, ça, Arlelt ! On dirait un vieux mélange pour tisane à la verveine. »

Il lui rendit l'objet du délit en le lui enfonçant dans la poitrine sans délicatesse, et continua :

« Les mélanges pour infusion, ainsi que le thé, se stockent au sec et à l'abri de la lumière. Inutile de continuer à utiliser cette boîte si elle n'a plus de couvercle. Passés six ou huit mois, ils perdent leurs arômes et sont bons à jeter. Sache-le, à l'avenir. Heureusement que j'en ai apporté, mais je ne sais pas où ces abrutis l'ont rangé...»

Eren l'écouta prodiguer ses conseils en la matière, remarquant que le trentenaire semblait s'être apaisé. Le caporal n'était pas l'homme patibulaire et insensible que l'on dépeignait si souvent parmi la bleusaille et les autres corps d'armée. Eren savait que, au fond, ce petit tas de nerfs et de muscles, doué d'un flegme légendaire, était bien plus à l'écoute de son entourage et de ses hommes qu'il ne voulait le laisser croire. Levi avait, plus d'une fois déjà, montré certains élans paternels envers lui et ses camarades de la 104ᵉ. Il commençait à cerner son supérieur et décelait en lui une émotivité plus grande qu'aucun ne l'aurait cru, et même une forme d'affectivité. Ils avaient partagé une étroite cohabitation par le passé, et c'était à ce moment qu'il avait commencé à réinterpréter le regard presque toujours froid et impassible de Levi. Il se demandait, depuis lors, si ces pierres grises n'étaient pas simplement chargées, sinon d'indifférence, mais de tristesse et de mélancolie pures.

Dernière Guerre Pour le Paradis.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant