Le Marteau d'Arme.

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Ce matin-là, la pluie avait enfin cessé, mais un vent glacial soufflait du nord-ouest, agitant la houle et faisant claquer les pèlerines des hommes en poste. Les soldats du Bataillon avaient troqué les chemises d'uniformes contre des tricots épais, sous leurs vestons de cuir, tandis que ceux de la Garnison arboraient des vestes à coupe un peu plus longue et doublées.

C'était le milieu de l'hiver. L'hiver le plus vigoureux que l'on n'avait vu depuis dix ou quinze ans. Par chance, le port bénéficiait de la douceur du climat littoral. Les températures étaient basses, mais rarement négatives. Les courants chauds du large repoussaient les dépressions et, contrairement aux sols des terres, la mer avait une très faible amplitude thermique. L'absence de condensation nocturne, associée aux rafales chargées d'embruns, préservaient la côte du gel. Cependant, le harcèlement constant de la bise et des précipitations pouvait se montrer plus terrible encore. Trempés en permanence, les assignés grelottaient sous les bourrasques, transis de froid, et devaient s'époumoner pour communiquer, le concerto des sifflements battant leurs oreilles jusqu'à leur donner mal à la tête. Nombreux étaient ceux qui préféraient la rudesse moins humide de l'intérieur des terres, et avaient hâte, en définitive, de retrouver, à leur retour d'affectation, les craquements de l'herbe givrée sous leurs bottes ou la chute monotone et paisible de la neige, qu'ils pourraient traverser sans qu'elle ne s'insinue, à l'instar de l'eau sournoise, sous leurs uniformes mal adaptés.

Six mois s'étaient écoulés depuis qu'Eren et Armin s'étaient entretenus avec leurs supérieurs. Le jeune homme n'avait eu aucune nouvelle de Levi, du moins, d'un point de vue personnel. Il savait que les intempéries qui avaient suivi la saison estivale, et continuaient de persister, avaient perturbé les plans du Bataillon. À l'approche de l'automne, l'adjudant-chef avait terminé les préparatifs de l'expédition visant à explorer le nord de l'île, mais une série de cyclones s'abattant sur les côtes nord-ouest, et rapportée par des éclaireurs, l'avait poussé à la reporter. En effet, un voyage de cette envergure prévoyait une absence de plusieurs escouades durant deux à trois mois au minimum. Il était nécessaire que les conditions soient optimales, afin de voyager le plus léger possible. Levi ne pouvait prendre le risque de se retrouver piégé ou ralenti par un typhon, car leurs vivres et leur gaz étaient comptés. De plus, Hanji, appuyée de ses connaissances scientifiques, s'inquiétait du climat nordique, plus ou moins connu et encore trop imprévisible. Ses pressentiments s'avérèrent exacts, car l'automne disparut bien vite, laissant place à un frimas, dans le sud, qui n'annonçait rien de bon. Elle craignait sûrement, à juste titre, que les côtes les plus extrêmes leur soient difficilement accessibles, et que les précipitations neigeuses ne les bloquent en chemin. S'accordant avec le commandant sur la nécessité de préserver les hommes, les chevaux et le matériel, d'une opération qui, si elle n'était pas infructueuse, pourrait s'avérer lourde de pertes, le chef d'expédition dut la retarder jusqu'au printemps.

Entre temps, Eren avait ardemment espéré une visite de sa part mais, malheureusement, son absence et son silence ne firent que s'alourdir au fil des mois. Le jeune sergent avait traversé des périodes de rancune et de colère, puis de tristesse et, finalement, d'acceptation. Désormais, il se disait que Levi, une fois à l'abri de ses tentations derrière les murs, avait réussi à se convaincre que leur histoire n'avait été qu'une erreur passagère, et avait probablement décidé de remettre les choses en ordre en y mettant un terme. Ou plutôt, sans y ajouter une suite.

Le jeune homme, de son côté, n'avait jamais éprouvé un manque si cruel. Il avait même tenté de lui écrire, quelques semaines plus tôt. Il avait longtemps réfléchi à la tournure que pouvaient prendre ses prières et ses espoirs sur le papier, mais la peur que le message soit lu par un indiscret le freinait considérablement. Il avait fini par n'écrire qu'un seul mot : « Reviens ». Puis, il avait cacheté l'enveloppe adressée en lettres capitales à l'« Adjudant-chef Levi Ackerman ». Au bout du compte, elle était restée dans la poche intérieure de son veston depuis tout ce temps. Il ne parvenait pas à expédier le pli, effrayé par la possibilité que quelqu'un ne parvienne à en interpréter le sens autant que par la réaction de l'homme s'il choisissait de se moquer de cette doléance.

Dernière Guerre Pour le Paradis.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant