La Mémoire de la Pierre.

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Après le cessez-le-feu, Mahr ne fut guère longue à donner sa reddition. Il ne fallut que vingt-quatre heures pour que la suspension des hostilités, mondiale et définitive, ne s'officialise et que tous les accords ne soient signés entre les parties, quelque part au-delà des mers.

Vingt-quatre heures durant lesquelles Eren avait vagabondé au travers des champs de bataille, tel un fantôme, en tentant d'ignorer le supplice de son âme et l'épuisement de son corps, tout comme l'odeur de sang, de poudre et de crasse, qui émanait de son uniforme méconnaissable.

L'écharpe de Mikasa l'avait réchauffé au cours de son errance froide et nocturne, tout en cachant la moitié de son visage aux quelques troupes alliées qu'il croisait. Au premier abord, celles-ci le regardaient avec crainte et distance, comme une apparition funeste, avant de reconnaître un combattant de Paradis et de lui proposer de les suivre. Eren avait refusé, chaque fois, prétextant chercher quelqu'un et s'informant simplement sur le déroulement des événements. Quand on lui avait demandé son nom, il avait menti, et le tissu de laine l'emmitouflant jusqu'au-dessus du nez cachait les sillons profonds et sanguinolents de ses joues, qui n'avaient pas disparus et commençaient même à s'infecter. Ces marques étaient l'apanage des réceptacles, devenues bien trop célèbres, et personne ne devait les voir.

Il avait continué de marcher vers le sud, cherchant à atteindre les côtes. Au détour d'un énième charnier, il avait subtilisé la plaque d'un soldat allié seconde classe en lui présentant ses excuses. Il lui avait promis qu'elle ne lui servirait que peu de temps et qu'il ferait lui-même le nécessaire pour qu'elle soit bientôt rendue à sa famille. Il l'avait également dépouillé de sa veste qui avait l'air en assez bon état, hormis un petit trou entre les omoplates. Le sang n'était rouge que lorsqu'il portait encore la vie. En séchant, il prenait cette teinte particulière d'acajou, et l'auréole autour de la déchirure se camouflait parmi les autres traces de boue. Le haut de treillis était un peu juste pour sa taille, mais plus chaud que son simple veston du Bataillon. Quand il avait croisé le chemin d'une nouvelle compagnie de recherches, qui fouillait et identifiait les défunts éparpillés tout en escortant des civils égarés, il s'était présenté à eux.

« Luc Richard ? » avait dit l'homme en répétant l'identité gravée sur la plaque qu'avait usurpée le jeune homme.

« What's you're last name ? Luc or Richard ?*

— ...Richard », avait hésité Eren, bien qu'il n'en ait aucune certitude.

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*« C'est quoi ton nom de famille ? Luc ou Richard ? »
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Plusieurs pays alliés à l'UPL parlaient leurs propres dialectes, et les simples soldats de leurs régiments n'entendaient rien à la langue officielle de la fédération. Eren en avait quelques notions, grâce aux leçons d'Hiro et du Rat, mais il était bien trop débutant pour se faire passer pour l'un des leurs. La nationalité du soldat étranger nommé Richard lui avait judicieusement permis de confondre la sienne, en expliquant son manque de compréhension et son accent – qu'il tenta tout de même de moduler pour en supprimer les intonations trop eldiennes. Il avait plusieurs fois levé les épaules lorsque les hommes s'adressaient à lui, mâchant leurs mots dans un débitage naturel dont il ne comprenait strictement et réellement rien. Voyant qu'il était perdu, ils avaient articulé davantage, parlant lentement comme s'ils s'adressaient à un demeuré. Il avait répondu en utilisant sa voix le moins possible, se contentant de quelques mots à grands renforts de mimes. Après l'avoir informé que le capitaine de sa compagnie s'était fait tuer et qu'ils ignoraient où étaient ses camarades survivants, l'autre lui proposa de rentrer avec eux au port de fortune que la Marine et les rescapés des zones proches s'activaient à bâtir afin de permettre le rapatriement prochain des troupes, ainsi que le ravitaillement de l'île en denrées et produits de première nécessité.

Dernière Guerre Pour le Paradis.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant