L'Horloge.

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Les mains toujours posées sur le torse d'Eren, maintenant le jeune homme fiévreux à bonne distance, Levi souffla :

« Non. »

Son soldat resta immobile, apparemment surpris, mais Levi, craignant de se laisser déborder de nouveau, n'osait relever les yeux vers lui. Leurs respirations, haletantes et incontrôlées, indiquant la dépossession respective de leurs moyens, brisaient à elles seules le lourd silence qui s'était installé. Levi s'agrippait à sa raison, forçant encore un peu sur ses paumes afin d'éloigner davantage la menace. Puis, il releva la tête avec nonchalance, prêt à expliquer son geste.

Son regard croisa celui d'Eren, embué de désir et d'impatience animale. Ses mots ne parvinrent pas à trouver leur route, soudain éclatés par cette vision troublante. Le jeune homme, qui avait su éveiller en lui tant de pulsions charnelles, le dominait de son corps, de toute sa superbe et de ses envies irrésistiblement réciproques. Les flammes vertes du cuivre en fusion dansaient sous les paupières plissées de convoitise.

Les genoux de Levi tremblèrent, prêts à s'écarter pour appeler le navire à rentrer au port. Mais il parvint à affermir sa volonté et, si ses cordes vocales le trahissaient, ses propres yeux, eux, lancèrent un avertissement sans équivoque.

Eren sourit et leva les bras, plaçant ses mains baladeuses au-dessus de ses épaules en signe de reddition. Levi eut beau mesurer son air coupable, il sut immédiatement que l'autre n'avait pas compris l'amplitude de son refus. Le jeune homme, par son attitude asservie, lui faisait la promesse d'être moins impatient mais, avec fougue et cupidité, fondait de nouveau sur lui.

« J'ai dit ‶non″ ! » lui répéta-t-il froidement, alors que l'autre s'apprêtait, ses mains toujours levées en vœu ironique de chasteté, à rouvrir le bal de préliminaires innommables.

« Tu sais bien qu'on fait n'importe quoi, alors n'insiste pas ! »

Les bras d'Eren retombèrent sur les hanches de leur propriétaire avec un agacement bien trop visible. Le jade de ses yeux le lacéra de reproches tandis que son visage, d'ordinaire rayonnant de jeunesse provocante et de confiance ingénue, se crispait sous l'impact de la frustration.

Et c'était une frustration bien cruelle, Levi pouvait en attester.

« Pourquoi ? » siffla le soldat entre ses dents serrées, en prenant une posture menaçante qui contrastait délicieusement avec la supplique d'incompréhension au fond de son regard.

Le plus mûr savait reconnaître un caprice et, même si la situation conférait à celui d'Eren une certaine légitimité, il s'efforça de garder la tête froide et de réprimer, à l'instar de cette volonté juvénile et prostrée, sa propre soif de lascivité.

Il n'avait jamais, de toute sa vie, perdu pieds de la sorte. Désormais, son attirance vis-à-vis de son subordonné lui était irrécusable ; il ne pouvait plus se désavouer lui-même. Sans compter qu'Eren avait, de toute évidence, un talent inné pour la séduction, et celui-ci avait provoqué leur perte. Le jeune homme, excellant dans le charme et la verve, avait su le prendre au piège, l'envoûtant grâce à son audace et les atouts érotiques de son nouveau corps d'adulte. Malheureusement pour Levi, la fascination qu'il éprouvait déjà à l'égard de l'adolescent sauvage de ses souvenirs s'était révélée traîtresse. S'il avait, par le passé, eu du mal à admettre que le garçon était l'une de ses faiblesses, l'homme qu'il était devenu, lui, était un véritable danger.

Il devait tout effacer ; nettoyer cette macule malvenue qui entachait les pages blanches de l'histoire, épique et martiale, que lui et ses hommes s'apprêtaient à couvrir d'encre. L'heure était grave. Tous aspiraient à la conclusion de près de deux-mille ans de guerre, et lui se laissait aller à des accès sentimentaux et libertins. Il avait bien trop perdu, dans son éternel combat, pour se laisser distraire à un moment aussi fatidique. Sans oublier que l'armée et ses codes lui avaient prouvé, depuis longtemps, leur efficacité implacable et fort pratique à servir ses desseins. Il ne pouvait pas enfreindre des règles qui lui étaient si utiles ; il ne pouvait pas tout bazarder si simplement.

Dernière Guerre Pour le Paradis.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant