La Poudre et l'Acier.

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Eren contemplait, consterné, la proie qu'il avait été contraint d'abandonner le matin même. Son anéantissement était complet.

Car elle n'était plus que charogne ; car la désillusion était injuste et bien trop douloureuse.

Il avait dû chasser, avec hargne, les sternes et autres laridés qui festoyaient sur la dépouille, salissant sa chair de leurs palmes et de leurs fientes. Il avait hurlé sur les oiseaux qui, de leurs becs longs et crochus, lacéraient la peau et la viande, laissant éclater son désespoir jusqu'à ce que sa voix se brise. Il les aurait toutes tuées, si ces saletés avaient été comestibles. Sa rage était si terrassante qu'il maudissait la nature elle-même de se rire ainsi de lui et de son chagrin. Levi était perdu pour lui.

L'âme nauséeuse, il se pencha sur le phoque pour mesurer l'étendue du gâchis. Il pourrait certainement récupérer la fourrure, mais le port était suffisamment approvisionné en nourriture pour qu'il ne se risque à contaminer ses hommes d'un germe douteux. Il ne lui restait plus qu'à terminer le travail, là, dans le froid vif qui saurait refroidir les rouages infernaux de son esprit et geler ses émotions tortionnaires. Peu importait l'heure qu'il était, il devait trouver une occupation pour arrêter de gamberger.

Il avait quitté le mess aussitôt son repas englouti, sous l'œil inquiet de certains. Le prétexte de nettoyer le quai d'un animal mort de la taille d'un homme fut, néanmoins, suffisant pour que personne ne le retienne. La pluie renaissante fouettait son visage et ruisselait sur ses joues, en succédanée de ses propres larmes qui ne venaient pas ; qui ne venaient plus depuis bien longtemps car ses sentiments violents étaient trop souvent empoisonnés de haine, et c'était encore le cas ce soir. Il se sentait trahi et, surtout, il se sentait idiot. Il maudissait Levi et il maudissait ce monde mais, au-delà de tout, il se maudissait lui-même.

Serrant les dents, il fit glisser son couteau de chasse entre le cuir et la graisse, blanche et glacée. C'était barbare, imprécis et bâclé, mais il s'en moquait. Il n'avait pas la patience de réunir son matériel pour faire cela dans les règles de l'art, pas plus que celle de transporter son gibier dans un lieu plus propice à sa tâche. Il œuvrait avec rogne et répulsion, contre tout et tous, déshabillant le mammifère avec une férocité grossière.

« Jette-moi ça par-dessus bord, tu vas prendre froid. »

Eren sursauta. Sa gorge se serra et il se sentit étourdi. Agenouillé dans le ruissellement saumâtre, les yeux soudain plongés dans l'horizon où ciel et abysses se confondaient, il frissonna mais garda prise. Levi Ackerman venait d'allumer, sans le savoir, la mèche d'un bâton de dynamite.

« Alors, je l'aurais tué pour rien. Non, c'est hors de question.

— Je ne devrais pas avoir besoin de le préciser, mais c'est un ordre », asséna l'adjudant-chef avec froideur.

Eren se redressa, possédé par sa propre colère :

« Qui est-ce ?! s'époumona-t-il soudainement. Vous la connaissez depuis quand ?! »

Comme il s'y attendait, l'homme conserva son masque indéchiffrable, très certainement préparé à son interrogatoire.

« Bordel ! continua Eren, furieux. Je ne sais pas ce qui est le pire : que vous l'ayez déjà rencontrée la dernière fois que nous nous sommes vus, et que vous ne m'en ayez pas parlé ; ou que vous l'ayez rencontrée depuis, et ce malgré ce qu'il s'est passé entre nous !? Ça me donne envie de gerber dans les deux cas !

— C'est pas ce que t'es en train de faire ? ironisa Levi, cruel.

— Je vous emmerde ! siffla le cadet. Si ça vous indispose que je vous dégueule toute ma haine dessus, vous pouvez aussi bien aller vous faire foutre ! Ça sera pas plus propre, mais c'est encore ce qui peut vous arriver de mieux ! Si vous vous êtes traîné jusqu'ici pour me dire que je m'étais monté la tête, comme le pauvre merdeux que je suis, foutez-le-camp ! J'veux pas vous voir ! »

Dernière Guerre Pour le Paradis.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant