Chapitre 12

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J'ai enfilé sans un mot les vêtements posés sur le lit en ignorant magistralement le regard noir de Chris à l'autre bout de la pièce. Les bras croisés et la mine grave, il reste planté là de longues minutes sans me quitter des yeux.

- J'ai encore une chose à régler aujourd'hui, je vais te laisser à la maison pendant environ une heure alors...

Il s'approche de moi d'un pas menaçant.

- Tu restes bien sagement ici, si je vois ne serait-ce qu'un orteil à l'extérieur, tu vas passer un sale quart d'heure et crois-moi, après ce qu'il s'est passé tout à l'heure, la colère n'est pas encore retombée.

Pour seule réponse, je hoche fébrilement la tête avant de m'asseoir sur le bord du lit telle une petite fille obéissante à son père. Il faut vraiment que j'arrête de trouver des comparaisons, ça devient trop glauque...

- La porte va être fermée à clé de toute façon mais ne gâche pas le peu de confiance que j'ai en toi, Eve.

Sur ces mots, il tourne les talons et referme la porte derrière lui. Le silence s'impose pour la première fois depuis que je suis arrivée et je ressens un profond soulagement. Je souffle un coup tout en m'étendant sur la couette. Mes cheveux sont encore humides mais je les ai enroulés dans une serviette de sorte à ce qu'ils ne me gênent pas. La maisonnette est vraiment agréable si on ignore le lieu où elle se situe, je pourrais presque me croire à la maison... Je me lève et en profite pour faire un petit tour de la chambre, j'attrape le premier bouquin qui attire mon attention « Les hauts de Hurlevent ». Est-ce que ce livre appartient à Chris ? Je me rassieds sur le lit et ouvre une page aléatoirement. Le papier est jauni et je distingue des petites notes prises au crayon, l'écriture est minuscule et pourtant si propre, ça ne fait absolument pas tâche au paragraphe. Pendant au moins trente minutes, je parcours le roman avant de m'endormir, épuisée par l'accident de la veille. J'ai toujours trouvé agréable d'avoir un moment pour moi dans la journée où je réfléchissais de sujets divers et étrangement, ce moment survenait régulièrement à l'heure du couché. Je repense à ma mère, ça me tourmente, elle est toute seule, elle n'avait que moi dans sa vie. Nous étions comme des piliers, si l'une partait, rien ne tenait. Depuis la mort de papa, elle est devenue extrêmement fragile émotionnellement. Je préfère ne pas imaginer son état actuel, ça me briserait trop le cœur. Le cours de mes pensées est interrompu par des cris. Des cris de femme ?

Je me redresse aussitôt et dévale les escaliers deux à deux, manquant presque de me casser la figure.

La porte d'entrée est fermée à clé mais celle du jardin ? Je m'approche rapidement de la porte et observe par la vitre. Une femme est accroupie sur le sol du jardin, elle est affolée.

- Ouvrez, je vous en prie... Il me cherche... Et... Et s'il me trouve, je ne verrai plus jamais... le...le jour... dit-elle en hoquetant

Je lui jette un regard attristé, priant de toute mes forces pour que la porte ne soit pas fermée. J'agrippe la poignet et tire d'un coup sec : aucune résistance, elle s'ouvre. Pourquoi Chris a-t-il omis celle-ci ? A-t-il oublié ? Ça m'étonnerait mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir, je dois cacher cette femme.

Je ne réfléchis pas une seule seconde de plus et transgresse l'ordre qui m'a été donné. Je sors en courant et soulève la pauvre femme par les aisselles avant de l'entraîner à l'intérieur. Cette dernière s'écroule sur le sol.

- Je... Est-ce vous auriez un endroit... où me cacher ? Demande-t-elle toute essoufflée

Je scrute le salon, je ne connais pas très bien la maison mais j'imagine que la petite cave devrait être un endroit plutôt sûr, du moins pour cette fois. Très vite, je lui empoigne le bras et l'entraîne avec moi dans la cave, nous dévalons les petits escaliers. Dans le noir, nous ne voyons guère plus loin que nos orteils et je heure plusieurs fois des meubles ou du moins ce que ça en a l'air. Je laisse la femme là en lui promettant de revenir. Je dois vérifier que personne ne nous a vu et que son pourchasseur n'est pas sur le seuil de la porte. Je ferme la petite porte en bois de la cave derrière moi et me dépêche de refermer la porte du jardin. Je tourne le verrou et reste plantée à côté de la fenêtre. Au moins cinq bonnes minutes se sont écoulées avant que quelque chose n'attire mon attention.

- ALEX ! Une voix s'élève des fonds de la forêt bordant le camp, du côté interne des limites du camp.

Aussitôt, une masse sombre se distingue du reste : c'est un jeune homme, un peu moins grand que Chris mais qui n'a rien à lui envier non plus. Il marche rapidement autour des pâtés de maisons, il s'arrête plusieurs fois pour crier le nom de la fille qui se trouve dans ma cave. Alex, hein ? Je la plains... Perdue dans ma réflexion, je n'ai pas vu que le garçon s'était rapproché de la maisonnette. Il m'a vu l'observer à travers la fenêtre et il s'approche d'un pas menaçant. Que faire ? Mon sang se glace instantanément, je suis pétrifiée sur place. Suis-je censée avoir peur ? Est-ce qu'il a le droit d'entrer et de me toucher ? Que dois-je faire ? Quand il arrive à une distance où je peux mieux l'observer, je m'aperçois qu'il n'est pas si effrayant que ça. C'est un jeune brun aux cheveux assez bouclés avec quelques reflets roux, il porte un tee-shirt noir plutôt lâche et un slim qui moule ses longues jambes. Son regard ne dévie pas de sa trajectoire, il avance dans ma direction, calmement. Arrivé à ma hauteur, il se penche légèrement à la fenêtre pour que son visage soit à peu près à la hauteur du mien et toque un coup. Je déglutis difficilement, j'ai beaucoup trop peur pour m'enfuir.

- Hey toi, t'aurais pas vu une blondinette qui courrait comme une dératée ?

Son visage se tord en un sourire satisfait, je ne comprends pas très bien pourquoi.

Avant de répondre, je déglutis une bonne fois.

- Je... Je crois l'avoir vu partir dans cette direction, je réponds en pointant mon doigt vers la gauche.

Le garçon tourne la tête un bref instant, les mains toujours appuyées sur la vitre.

- Par là ? Demande-t-il en pointant la direction que je lui ai indiquée

- Ou-Oui

Il se retourne enfin en me lançant un drôle de regard.

- Merci

Il part enfin de la terrasse et se dirige à gauche. Il ne me lance aucun coup d'oeil en partant alors j'en profite pour souffler un coup.

Évidemment, c'est un bref répit car la porte d'entrée s'ouvre en claquant.

Chris entre, une drôle de marque rouge sur la joue. Il me regarde un temps et ouvre la bouche comme s'il allait dire quelque chose mais ne dit rien. Il porte sur son dos un drôle de sac rempli de choses lourdes.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

J'hésite quelques temps à lui dire la vérité mais préfère lui répondre :

- Rien, je faisais une sieste et puis je me suis réveillée à cause d'un bruit d'animaux.

C'est un semi-mensonge, on va dire... Chris hoche la tête mais j'ai vraiment l'impression que j'aurais pu lui raconter avoir vu un éléphant se tortiller sur la pelouse qu'il n'aurait pas bronché plus. Il pose son sac dans l'entrée, retire ses chaussures puis s'avance vers moi. Il pose ensuite ses mains sur le sommet de mon crâne et les descend sur mes pommettes.

- Eve, il faut que tu saches quelque chose.

Chris caresse doucement mes joues.

- Oui, je t'écoute ?

Puis il s'arrête, il presse un peu plus ses mains sur mon visage puis soulève mon menton avec sa main droite.

- Il y a quelque chose que je déteste encore plus que la désobéissance.

Son regard s'assombrit et mon pouls s'accélère. Son visage est si proche du mien que je sens ces quelques mots glaçants effleurés mes lèvres.

- Je déteste encore plus les menteuses. 

Chérie, tu m'appartiens !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant