Angeline

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Pour ne pas changer, en ce mercredi après-midi, je me trouve dans ma chambre, assise sur mon lit en train de lire un bouquin. Malheureusement, je m'ennuie à mourir. Tous mes livres, je les ai déjà lus et relus. Je les connais sur les bouts des doigts. Cependant, je préfère rester dans ma chambre plutôt que de rejoindre ma mère dans le salon, qui en profiterait une fois de plus pour me passer un interrogatoire.

Corentin n'est pas là, il fait son stage à l'hôpital. Il ne peut donc pas me changer les idées ou prendre ma défense comme il le fait la plupart du temps. Quand il est présent, nos parents disent amen à tout et il peut me sortir comme bon lui semble. Notre père et notre mère ont une entière confiance en lui et jusqu'à présent, en sa compagnie, rien de fâcheux ne m'est arrivé.

Il fait attention à moi pour que je ne me fatigue pas, il se préoccupe de mon état, ne me faisant pas courir, ne m'excite pas, ne me fait pas rire au point que mon cœur s'affole, mais il est léger, il ne m'oppresse pas, et c'est un vrai souffle d'air pour moi. Il n'est pas lourd, pas constamment derrière mon cul en me disant ; fait attention à ci ou à cela, tu ne peux pas boire ceci, mange plutôt ça. Non, cela, c'est réservé à nos parents. Corentin est différent, sachant pertinemment à quel point nos parents peuvent être très envahissants dans ma vie.

Je n'aime pas le voir triste, alors souvent, je donne le change. Mais quand on est que tous les deux, je n'ai pas à faire semblant, tout est naturel et ces moments-là, je les vénère plus qu'autre chose. Cela me donne un regain de vitalité et j'en ai bien besoin entre ma solitude, mes cours, ma maladie et mes parents. Corentin est ma bouffée d'oxygène et quand il n'est pas là, avec moi, je me sens plus seule que je ne le suis déjà.

J'en vins à repenser à la lettre que j'ai reçue et qui n'est pas de Quentin. Finalement, je lui ai répondu. J'y ai retranscrit mes doutes et mes angoisses, je me suis ouverte à ce garçon qui apparemment m'observe discrètement sans que je ne le remarque. Je me demande s'il a vu ma lettre et s'il l'a lu. Comment va-t-il réagir face à ma réponse ? J'ai préféré être clair dès le départ et s'il aime parler à quelqu'un de cette façon, pourquoi pas ? Ça n'engage à rien de toute façon.

Un coup est frappé contre ma porte. Je ferme mon livre tout en murmurant un « entrer ». Je sais déjà d'avance qui ça peut être.

Je suis lasse de tout ça, mais je comprends l'inquiétude de ma famille. Mes parents m'aiment, mais souvent, c'est étouffant et je n'aspire qu'à une seule chose, pouvoir enfin respirer librement.

La porte s'ouvre et comme je l'avais deviné, ma mère fait son apparition, un sourire sur les lèvres que je sais triste et inquiet.

— Ma chérie ?

— Oui maman ?

— Tu ne veux pas un peu venir au salon près de moi ?

— Je suis un peu fatiguée, je comptais me reposer.

— Ça a été ta matinée au lycée ?

— Maman..., soupiré-je. Tu m'as déjà posé cette question quand je suis rentrée à la maison.

— Je sais, mais tu ne dis presque rien.

— Parce qu'il n'y a rien à dire maman. Tout se passe bien, je travaille bien en classe et je rentre ensuite à la maison, tu n'as pas à t'en faire.

— Heureusement que Corentin peut quand même faire une pause et venir te chercher.

— Je pourrais prendre le bus comme tout le monde, non ?

— Et que tu aies un malaise dans une foule qui ne ferait pas attention à toi ? Certainement pas ! s'offusque-t-elle.

Je retins un soupir. J'ai beau supplier mes parents, rien n'y fait, ils restent campés sur leurs positions. J'en ai marre de tout ça, mais je ne peux pas aller contre leur décision. Je suis la gentille petite fille obéissante qui ne se rebelle jamais. Je suis docile et fait tout ce qu'on m'ordonne. Mais parfois, je tente quand même, bien qu'au final, le résultat est identique. Mes parents ne veulent prendre aucun risque et désirent plus que tout me préserver.

Ce n'est qu'un souffle au cœur, mais ils ont pris toutes les directives dès qu'on a découvert cela. Pas d'excès, une alimentation saine et équilibrée, pas de sport, pas de sortie. Ma famille est en alerte pour tout et n'importe quoi, ce qui en résulte que tout est trop exagéré et je ne peux vivre une vie heureuse et épanouie avec des gens sans arrêt sur mon dos.

— Comme tu voudras maman.

— Tu es une bonne fille, me dit-elle en caressant le haut de ma tête.

— Je sais que tu veux faire uniquement ce qui est bon pour moi.

— Ce serait encore mieux si je pouvais te donner cours à la maison, je ne m'inquiéterais pas constamment et Corentin ne serait pas obligé de trouver du temps libre dans son emploi du temps.

— Maman s'il te plaît, pas ça. Je fais tout ce que vous me demandez, mais je veux continuer à aller au lycée.

— Je sais, mais au premier bémol, c'est cloué à la maison !

— Ne t'inquiète pas, je fais attention.

Elle m'embrasse le sommet de la tête et quitte ma chambre. Une fois seule, je pousse un soupir à fendre l'âme et je frotte mes yeux. Mes paupières me brûlent, je suis à nouveau à deux doigts de pleurer. Je ne veux pas faire mes études à la maison, ce serait m'achever si mes parents décident cela. Je n'aurais plus rien, plus d'oxygène, plus d'envie, plus de goût à rien. Ma maladie et ma famille me bouffent assez ainsi, alors me priver de mon seul souffle d'air serait me calciner d'un feu brûlant.

Je me couche et silencieusement, laisse quelques larmes couler. Je me sens si impuissante à tout ce qui tourne autour de ma vie, si démunie par rapport à mon problème cardiaque que par moments, je n'ai qu'une seule envie ; me laisser aller dans mes perles salées sans que quiconque ne s'aperçoive de quoi que ce soit.

Parle-moi d'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant